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A la suite de l'immense campagne de dénigrement des casernes et de la
médecine militaire qu'avait entreprise la presse, une commission supérieure
d'épidémiologie et d'hygiène militaire lui avait succédé en 1909. Les civils y
prédominaient et son institution ne s'était pas faite sans polémique. Beaucoup de
médecins militaires y voyaient la reconnaissance officielle de leur inefficacité et
craignaient un antagonisme entre cette commission mixte et l'assemblée purement
militaire du Service de santé de l'armée. Mais d'autres trouvaient là l'occasion
inespérée de se faire rendre justice : les commissions, en général, ne faisaient
qu'amplifier la portée de revendications déjà formulées par les médecins militaires,
mais non réalisées faute de crédit. Sereins, ils attendaient un retournement de
l'opinion : "L'opinion publique, mal renseignée sur les nécessités de l'hygiène du
soldat, est généralement plus favorable à ceux qui l'appliquent, aux médecins
militaires, sur lesquels l'attention est trop souvent attirée, parfois avec une
documentation erronée ou dénaturée, à l'occasion de prétendues défaillances dans
leur pratique à l'égard d'hommes qui pâtiraient de leur négligence. Il importerait
donc que la grande presse soit plus circonspecte dans ses diatribes contre le Corps
de santé de l'armée, qu'au contraire, elle le soutienne dans ses revendications pour
le bien-être du soldat ; avec le concours des parlementaires, elle s'honorerait à
entreprendre une campagne pour briser les errements de lésinerie exagérée et pour
faire donner l'argent nécessaire aux vastes programmes élaborés pour les hôpitaux
et les casernes" 118.
Décloisonné, le microcosme espérait que "l'hygiène de papier", dont il était
victime à plus forte dose que le monde civil, se transformerait en cette salutaire
science d'application où le ton du commandement pouvait être si efficace. La
pédagogie ne pouvait passer que par la démonstration, puisqu'il s'agissait
d'emporter les convictions. Aussi fallait-il pouvoir se faire entendre efficacement et
commencer les réalisations.

L'atavique lésinerie militaire

Beaucoup de paradoxes compliquaient la texture du monde militaire et les
principaux concernaient l'essence même de l'institution. Hommes choisis pour leur
supériorité biologique, les soldats y mouraient plus que leurs semblables civils et
renverser cette insupportable situation était financièrement relégué aux limites de la
tolérance logique. Ainsi, dans un domaine où le budget a de tout temps été colossal
et où la ferveur règlementaire était traditionnellement entretenue, tout semblait
disposé à l'application des normes hygiéniques. Destinées à conserver la santé aux
soldats, elles permettaient en cela même d'en faire un combattant efficace et sûr. Or,
la répartition du budget se faisait dans la plus complète irrationnalité, puisqu'on
consacrait sa presque totalité aux dépenses de combat et que la partie réservée à la
subsistance était minime et subissait des suites interminables de lésineries.
Les exemples abondent et rempliraient facilement un bêtisier sanitaire, où les
sommets atteints amuseraient beaucoup s'ils n'avaient pour conséquence la mort
fréquente des soldats. L'état des Magasins centraux du Service de santé, presque
vides et fournissant au jour le jour, en dit long sur cette chronicité de la misère. Les
fournisseurs, payés avec des retards quasi-rituels, se sentaient de ce fait déchargés
des engagements qu'ils avaient pris. L'urgence des désinfections qui exigeaient
étuves et pulvérisations était par là bien compromise et l'armement arrivait souvent
après la bataille.


118 Id., p. 466.
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