|
pagnes de Crimée et d'Italie, par leurs stratégies sanitaires opposées, ont également
servi les thèses contre l'encombrement. Ravagés par le typhus, les hôpitaux, les
ambulances, les tentes et les navires de la guerre de Crimée entassaient souvent le
double d'hommes que leur volume autorisait et l'histoire médico-chirurgicale, écrite
sous le feu par les plus grands hygiénistes militaires (Lévy, Baudens, Scrive,
Armand, Tacquot, etc.), dénoncera avec tant de violence ce comportement criminel,
que la guerre d'Italie en prendra leçon. Dans chaque ville où devaient passer les
troupes, une commission sera spécialement chargée de préparer des locaux à rece-
voir des blessés. Une multitude de collèges, écoles, séminaires, couvents, ca-
sernes, palais, églises, habitations particulières, se transformèrent en hôpitaux.
Mais si les ravages du typhus ont pu être évités par cette belle organisation du des-
serrement, l'abandon des blessés lors des boucheries de Solférino et de Magenta,
écoeura Napoléon III lui-même. Le genevois Henri Dunant, révolté devant ce
comportement barbare, créera plus tard la Croix-Rouge pour en éviter la répétition.
Néanmoins, cette leçon de l'expérience, réalisée à l'échelle internationale, va
porter ses fruits. Dès 1857, une enquête retentissante faite par Douglas-Galton en
Angleterre avait déjà donné un nom au système architectural prophylactique inau-
guré dans la pierre, de façon délibérée, sous forme de pavillons : le block-system.
En fait, cette démonumentalisation, qui atteindra tous les microcosmes, signifie en
clair la nocivité pour l'homme du corps humain. En dégradant l'air qu'il respire,
l'homme souille son habitat et le rend à son tour dangereux comme un corps dont il
faut assurer par des artifices machiniques ou architecturaux, la respiration et, si
possible, l'implantation hors de la malaria urbaine.

Les grandes vacances de l'infection

Les guerres et les épidémies ont quelquefois provoqué une surabondance de
victimes telle, qu'il fallait les loger dans des constructions précaires, improvisées à
la hâte. Les tentes avaient ainsi servi, au début du XIXème siècle, à abriter les
blessés anglais de la guerre d'Espagne 85. En 1847, une épidémie de typhus
gigantesque obligea les hôpitaux new-yorkais à installer des bâtiments de toile dans
leur proximité. La guerre de Crimée, où presque rien n'était prévu pour soigner les
blessés et les malades, fit de cette issue de secours un système. Or, surprise, la
mortalité qui était de 60,03 % dans les hôpitaux, passait à 26,45 % dans ces fra-
giles abris.
Les Américains, déjà pionniers du gigantisme, vont systématiser le procédé
pendant la guerre de Sécession. De grands hôpitaux, composés de pavillons-ba-
raques ou de tentes de 25 m2, jaillissent alors du sol comme leurs villes champi-
gnons. Les excellents résultats obtenus dans des opérations aussi redoutées que les
amputations, et elles sont fréquentes pendant les guerres, vont monopoliser
l'attention de tous les hygiénistes européens.
Dès 1864, un hôpital berlinois, fort de ces leçons, installe pour l'été son service
de chirurgie dans le jardin, sous des tentes. Cette migration estivale des blessés ne
tarde pas à se généraliser dans tout le pays où, à partir de 1866, la guerre fait rage.
Même les Russes, à Moscou, se convertissent à cette pratique étonnante qui profi-
tera aussi aux colonies françaises.


85 HOCHE avait persuadé ses troupes "qu'il était plus militaire, plus républicain et plus glorieux
de se passer de tentes que d'en traîner à sa suite". Les armées françaises de la République et du
Premier Empire s'en passèrent donc et elles ne furent remises en service que par les guerres
d'Afrique. De VIRY, op. cit., p. 445.
|
 |