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furia microbiennesouleva-t-elle aussi vite et aussi fort les hygiénistes vers une
conversion qui nous est si souvent présentée comme radicale ?

La préoccupation essentielle de l'hygiène est précisément de débusquer les
stratagèmes de la mort, d'en trouver les vecteurs, pour vite les canaliser. Depuis
l'origine, la maîtrise des flux de nature variable l'occupe. Elle s'y prépare, travaille
à construire qui des égoûts, qui des hôpitaux, qui des logements ouvriers, qui des
casernes, triant, étiquetant, hiérarchisant, définissant, inventant pour le danger et
ses sources un langage. Et voici que Pasteur lui offre un appareil de pensée tout à
fait conforme à ses aspirations : il trouve un responsable, le microbe, qu'il faut
traquer avec un arsenal à perfectionner : l'antisepsie, dont il faut se garder avec une
technique neuve : l'asepsie.

Ses circuits vont être observés et conforteront la vieille hygiène qui, par les
banques de données tous azimuts qu'elle édifie depuis un siècle, a découragé la
compréhension des meilleures volontés. Le microbe a surgi comme un phénomène
explicatif global, avant même qu'on l'ait identifié dans certaines maladies. Toutes
les informations réunies par l'hygiène sur les influences telluriques,
météorologiques, architecturales ou autres, faites depuis un siècle, vont se
réordonner autour de lui.

La multiplication des sources de méfiance que fait naître cet agent ubiquitaire va
justifier les plus antiques renvendications hygiénistes d'assainissement. Les
découvertes pastoriennes vont retraduire les comportements passés et définir ceux à
venir. L'hygiène a trouvé là une sorte de pivot à partir duquel tout va s'organiser
pour convaincre et Pasteur va endosser une dimension patriotique pour le moins
inhabituelle chez un chimiste.

Dans cette grande entreprise de ravalement scientifique de la fin du XIXème
siècle, il est peu d'articles importants des revues d'hygiène qui ne sacrifie à
l'antienne pastorienne. Il en est ainsi même pour l'hygiène sociale qui se préoccupe
essentiellement de fléaux non encore pastorisés et qui, pour les plus fondamentaux,
ne le seront jamais : alcoolisme, syphilis, tuberculose. (Nous entendons par
pastorisé un sens qui dépasse de fort loin la simple manipulation bactéricide. Une
maladie est, dans cette étude, dite pastorisée quand elle a subi la mise en coupe
réglée qu'a perfectionnée Pasteur : découverte de l'agent microbien, du vecteur
éventuel, du vaccin et du sérum s'il y a lieu).

Mais cette conversion ne s'est pas faite sans mal et cette foi en la désinfection,
comme on disait alors, n'a d'abord été le lot que de ceux qui pouvaient en constater
derechef l'efficacité : vétérinaires et chirurgiens. Et voilà que la science de
l'architecture prophylactique elle-même est mise en doute : "En chirurgie, la
question du local est extraordinairement secondaire (...). Il y a une question
d'antisepsie vraie, non de la pseudo-antisepsie, qui domine tout (...). Ce n'est pas
dans des constructions bizarres, dans des règlements extraordinaires, dans des
isolements problématiques, que l'on doit chercher le remède et la prophylaxie des
maladies infectieuses"
94.

Ainsi, le milieu ne serait-il plus rien ? Même chez les hygiénistes, l'idée aura du
mal à s'installer.


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94Dr. J. CHAMPONNIERE, "Sur la désinfection d'un service de varioleux (pavillons en bois) et
sa transformation en service chirurgical", BSMP, XI, (1888), p. 81.

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