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parler les animaux, il allait falloir observer les hommes. Or ce premier stade, qui
gommait une fois encore la barrière ontologique fondamentale, n'avait pas été de
suite accepté par les médecins. Comment assimiler rapidement ce qui, partant
d'histoires de basse-cour et passant par cet endroit encore mystérieux pour
beaucoup qu'est le laboratoire, donnait lieu à des bouillons ou à des panacées
miraculeuses dont l'usage, jusqu'en 1895, leur avait échappé ? "Pauvre médecin !
Redessiné par d'autres, désapproprié de ses définitions de la maladie, retourné
comme un gant dans sa déontologie, devenu le représentant d'une force nouvelle
qui nie d'abord son rôle, voilà que les savants lui disent maintenant jusqu'aux
gestes qu'il doit faire à l'intérieur de son cabinet et les méthodes qu'il doit
employer" 98. Un an parès la découverte du sérum antidiphtérique, une fois acquis
que c'était eux qui allaient avoir à faire la sérothérapie, le virage est définitif : "Ne
rions plus des bacilles et des bouillons" 99. Les médecins vont se convertir au
pastorisme et s'habituer, entre autres choses révolutionnaires, à écouter les
animaux. Aux avant-postes de la bataille contre les germes, les frères inférieurs
vont dire aux hommes ce qui les aidera à conserver leur vie et tout spécialement
dans les endroits où elle est la plus menacée. Et justement, ils ne sont pas toujours
ceux que l'on croit.

La sortie d'un temps

Après l'élargissement définitif et généralisé de la conscription, le souci de la
santé du soldat s'est considérablement accru. Enquêtes, visites parlementaires,
articles de presse et traités d'hygiène accumulent les analyses et préconisent des
solutions qui vont s'harmoniser tant bien que mal avec la norme biologique
dominante.
Un à un, les vieux mythes vont tomber pour être bien vite remplacés par
d'autres, tout aussi régulateurs et qui semblent avoir poussé dans les anciens tant la
retraduction qu'ils offrent est aisée.
Comme la poussière, longtemps suspectée d'avoir recélé les "monstres
invisibles", les "vieilles contaminatrices", ces bâtisses propres à l'entassement,
véritables marais humains, seront progressivement déchargées de toutes les
accusations qui les condamnaient depuis plus d'un siècle à la destruction pure et
simple.
En 1903, le Sénat attira l'attention des pouvoirs publics sur l'état défectueux des
casernes et le ministre de la Guerre ordonna alors une enquête. Soixante deux
casernes furent déclarées inhabitables, vingt-quatre en partie insalubres et beaucoup
nécessitant de nombreux travaux. Mais dans le même temps, les enquêteurs avaient
relevé un fait étonnant : certaines vieilles casernes, qui défiaient l'hygiène depuis
des lustres, présentaient un état sanitaire meilleur que les casernements récents
construits à grands renforts de théories hygiéniques anti-entassement 100. Une
nouvelle enquête, de plus grande envergure, fut alors déclenchée en 1906.
Ne commettant pas l'erreur de leurs prédecesseurs, les hygiénistes pastoriens ne
cherchèrent pas, dans ces nouvelles investigations sur l'architecture prophylactique,
à la charger de toutes les responsabilités dans la morbidité militaire. Ainsi, les


98 B. LATOUR, Les microbes. Guerre et paix, Métaillé, Paris, 1984, p. 140.
99 Dr. JEANNE, "La bactériologie et la profession médicale", Le concours médical, 20/03/1895,
cité par B. LATOUR, op. cit. p. 145.
100 G. LEMOINE, Prophylaxie des fièvres éruptives dans ses rapports avec l'aménagement des
casernes, Revue d'hygiène, 20 janvier 1905 ; voir aussi G.L. LEMOINE, Nos casernes, Revue
scientifique, 15 et 22 juillet 1905, nº 3 et 4.
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