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Au début de notre siècle, ce ne sont pas encore les brosses à dents et les
savonnettes usées qui mesurent l'état de l'hygiène des Français. La campagne, où
les mères sont généralement convaincues que la crasse fait pousser les cheveux,
affiche sa barbarie en envoyant ses malades à l'hôpital et ses enfants à l'école. Dans
ces lieux traditionnels de la discipline sanitaire, les constats s'accumulent et révèlent
la nécessité du redressement.
D'ailleurs, les campagnes et même les pauvres, ne sont pas les seuls
accusés. Le ministre de l'Instruction publique signale lui-même que les étudiants
des lycées, où les Jésuites auraient depuis longtemps transformé les corps en
"guenille" (Descartes), sont aussi crasseux et il demande que l'enseignement
hygiénique soit général et s'étage comme une instruction civique, à tous les âges et
pour toutes les catégories d'écoles. Prenant racine dans la défense de la patrie,
l'hygiène était tout naturellement devenue une matière scolaire propre à fabriquer du
citoyen.
Dès 1897, un enseignement anti-alcoolique fut organisé par le ministre de
l'Instruction publique (arrêt du 9 mars 1897) et conjointement, la question de
savoir s'il fallait faire l'éducation sexuelle des enfants essaya, sans grand succès,
d'abattre au préalable les tabous. Répétés tous les ans, ces arrêtés n'étaient pas
uniformément suivis et il fallut attendre la première guerre mondiale pour réaliser
que la voie administrative et scolaire était dérisoire pour changer les mentalités.
La Fondation Rockefeller participa financièrement et méthodologiquement
à la lutte anti-tuberculeuse dès le début du conflit en permettant l'organisation d'une
Commission américaine de préservation contre la tuberculose, en France. Elle
fut perçue comme un organisme de coopération soucieux de ne pas gêner les
rouages administratifs publics et privés et commença par faire un inventaire complet
de l'armement anti-tuberculeux : dispensaires, sanatoriums, lois d'hygiène. Puis
elle choisit Paris et un département provincial (Eure et Loir) comme terrains
d'expérience et de démonstration. Elle y planta immédiatement des dispensaires,
chargés de dépister les tuberculeux pauvres, d'observer les familles suspectes, de
surveiller leurs habitations, leur éducation, etc. Pour ce faire, des infirmières-
visiteuses, instruites et payées, véritables monitrices d'hygiène sociale, furent
recrutées.
Flanqués de laboratoires, les dispensaires organisaient l'examen gratuit des
crachats. Les grands malades furent isolés dans des bâtiments ou des baraquements
et les enfants furent envoyés au bon air de la campagne.
Le processus de ce tri énergique engagé, la campagne pour l'éducation
populaire commença, et les Français apprirent ce que le mot propagande
recouvrait : tournées de conférences, distributions de tracts, projections de films.
"Nombre de causeries étaient faites, ici, aux enfants des écoles, là, aux ouvriers des
usines, ailleurs, à des assemblées de mères de familles, en un mot à tous les amas


55 Réaction d'un conseiller municipal rural à la lecture des règles relatives à l'éloignement du
purin, à la nécessité de signaler les maladies contagieuses, d'enterrer les déjections des typhiques,
etc. "Eh bien, je crois que dans cette formule, ce brave homme a traduit malheureusement le
sentiment d'un grand nombre de Français" (applaudissements). Discours de M. F. ALBERT,
ministre de l'Instruction publique au XIème congrès d'hygiène, 21 au 24 octobre 1924, en présence
du ministre du Travail et de l'Hygiène (J. GODART), du docteur ROUX, etc., RHPS, XLVI,
(1924), p. 1038.
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