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un accueil houleux de la part des cabaretiers et de leurs alliés. Der Gastwirth, leur
journal officiel, percevait ainsi le phénomène :

"Un grand courant contre l'alcoolisme, c'est-à-dire contre l'usage de boissons
spiritueuses, se manifeste dans tous le pays. Partout retentit le cri d'abstinence ;
des associations entières jurent de s'abstenir de boissons spiritueuses ; cela est à la
mode. Les jeunes prêtres et les jeunes médecins aident à endiguer l'ivrognerie et
avec une certaine insistance. On comprend qu'avec une propagande promettant le
salut, comme celle qui est menée par les Bons-Templiers et les abstinents,
beaucoup de personnes renoncent à fréquenter le cabaret". Et l'article se terminait
par cette phrase significative : "Les jeunes médecins et les abstinents vont bientôt
être plus funestes pour notre population vinicole que le phylloxéra."
53

En Suède, où la lutte anti-alcoolique connut un succès exemplaire, les
sociétés de tempérance étaient significativement baptisées sociétés patriotiques.

En France, les tentatives furent isolées et ne connurent jamais la prospérité
des Cacao-housesanglais. La lutte anti-alcoolique y était d'autant plus intéressante
à observer qu'elle s'en prenait à des géants avec des armes dérisoires. Ainsi
l'Union anti-alcoolique française, qui avait pour organe de presse L'alcool, se
proposait-elle d'épingler ce qu'elle appelait les "chevaliers de l'apéritif",
"représentants de la grande industrie nationale", "fabricants de quinquinas variés et
avariés, d'apéritifs, de digestifs, de vermouths, d'amers, de bitters et d'absinthe,
tous liquides bienfaisants, oxygénés et hygiéniques", "les plus efficaces
pourvoyeurs de misère, de déchéance, d'aliénation mentale et de phtisie", qui ne
manqueraient pas d'être décorés à l'occasion de la grande Exposition de 1900 :

"D'heureux présages leur annoncent que le siècle prochain sera celui de la
grande alcoolisation terminale, l'apothéose du délirium tremens.L'Exposition de
1900 ne consacrera pas moins de cinq classes diverses à l'empoisonnement
national. Quelle pluie de médailles, de diplômes, de décorations ! On a toléré d'y
voir figurer les sociétés anti-alcooliques, ces trouble-fête, ces empêcheuses de
s'empoisonner en rond ! C'est là une regrettable faiblesse ; elle ne saurait
compromettre le succès final de la grande gigue absinthique, qui annoncera l'aube
du XXème siècle. Nous publierons régulièrement les noms des "chevaliers de
l'apéritif"."
54

"C'est sévère, mais juste" commente le directeur de la Revue d'hygiène et de police
sanitaire. Ajoutons : significatif de l'impuissance.

Dans la patrie de l'alcool, la tempérance devait passer par une autre crainte
que celle de l'alcoolisme proprement dite. L'influence de l'hygiène, toujours très
faible en ce domaine, subit une accélération pendant et après la première guerre
mondiale en profitant des nouveaux relais orthopédiques que les alliés avaient
importés.


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53Der Gastwirth, 21/11/1897, cité par RICHARD (Voir note précédente), p. 1055.
54E. VALLIN, article rapporté dans RHPSsans indication de l'auteur, XXI, (1899), p. 959.

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