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C'était en fait confondre l'hôpital avec le dispensaire et faire du trouble une
condition nécessaire au bon fonctionnement de la machine : "Toutes les formes de
la tuberculose initiales ou avancées, curables ou non, aiguës ou chroniques,
pulmonaires ou extra-pulmonaires, typiques ou atypiques, simples ou compliquées,
y devraient avoir libre accès : ce serait la première condition du bon renom de cet
hôpital et de son succès dans la lutte contre la tuberculose." 47
Le tri, trop bien fait aurait épouvanté les gens. Il y fallait du doigté. De plus,
recevoir une telle variété de malades permettait des conditions optimales pour la
recherche scientifique, l'enseignement clinique et expérimental, et le dépistage.
Mais tout cela n'était que belles paroles, dans les faits "la règle presque absolue était
la suivante : un phtisique arrivait à l'hôpital, on l'examinait et on le refusait." 48
Même l'hôpital Laennec, créé pour les phtisiques était peu à peu devenu un hôpital
général où l'on repoussait autant que possible les phtisiques. Aucun ne voulait
devenir ne fusse-ce qu'un demi-sanatorium. La logique du rejet/enfermement allait
donc précipiter les nations vers la furie architecturale spécialisée dans la prophylaxie
tuberculeuse (voir chapitre 3. La rédemption sanatoriale). Cependant que pour les
autres maladies sociales on enfermait et séparait à qui mieux mieux, en prétextant
du modèle de la lutte antituberculeuse, pour cette dernière, l'hypocrisie était de règle
et l'on prétendait rationaliser les soins, la recherche et la prévention en rejetant
délibérément et en enfermant toutes les fois que c'était possible. Tout ça était
significatif : l'ignorance affolait, il fallait éduquer.
L'orthopédie mentale

Pour prévenir les maladies sociales, il fallait non seulement apprendre la
prophylaxie aux gens mais aussi leur faire mesurer le risque qu'ils prenaient en
assouvissant des plaisirs dangereux. Inséparable d'une certaine morale, l'hygiène
trouvait facilement ses alliés chez les curés et les instituteurs mais l'exemple
américain lui fit inventer une nouvelle forme de prosélytisme.

Le plaisir bien tempéré

Nous avons fait allusion plusieurs fois aux recommandations d'abstinence
que professaient les hygiénistes à l'encontre des abus sexuels, au lupanar et dans
l'alcôve. Plus que la diminution des risques de contamination, il s'agissait
d'apprendre une certaine modération dans la satisfaction du plaisir. L'exemple
mesurable de la consommation d'alcool servit de matrice à une discipline
pédagogique de la tempérance que l'on pouvait sans peine étirer à toutes les formes
de plaisir.
L'idée de base était de fabriquer une apparence d'ennemi au plaisir : "Ces
familles n'ont pas de pire ennemi, ne rencontrent pas de cause de détresse plus
active, plus puissante que l'abus qu'elles font des boissons alcooliques". 49


47 Ibid.
48 LETULLE, "Les tuberculeux dans les hôpitaux de Paris", RHPS, XXIX, (1893), p. 85.
49 H. PASSY, discours prononcé à la première séance de La société de tempérance le 15/6/1873,
HPML, XL, (1873), p. 237.
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