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l'édifice de la turbulence, que le dispensaire ait été longtemps marqué par son
origine infamante et qu'il soit devenu dans les esprits une sorte d'engin spécialisé
dans le "socialement criminel". Aller au dispensaire rendait suspect, c'est dire...

Aussi, quand en 1916, la loi dite Léon Bourgeoisinstitua les Dispensaires
d'hygiène sociale et de préservation antituberculeuse, leur disponibilité idéologique
les précipita dans le rôle de reconstruction et de relèvement du corps de la patrie. Le
ton, militaire, ordonna leur réalisation : "La création des Dispensaires ne peut pas
attendre ; il s'agit d'aller vite, de passer aux actes résolument et d'aboutir par les
voies les plus rapides"
38. En 1919, les règles prévues par la loi pour leur création
apparurent trop compliquées et trop longues. C'est qu'il s'agissait alors d'organiser
une véritable résurrection et il fallait sans réserve et lenteur administratives
distribuer de l'argent public aux Ligues d'initiatives privées et aux Associations de
bienfaisance. Véritable nébuleuse de la philanthropie, ces associations avaient
ajouté aux trois fléaux classiques, la mortalité infantile. La repopulation était alors le
principal souci et en 1920 l'association des Foyers civiques avec les dispensaires
d'hygiène sociale réalisa une cellule sociale nouvelle qui concrétisait à l'envi le
souci sanitaire et le souci patriote. Il s'agissait de faire comme les Américains et les
Anglais et d'associer ouvertement l'éducation hygiénique avec l'éducation civique.

Appareil à décanter les eaux troubles d'un fleuve humain menacé
d'appauvrissement biologique, le dispensaire envoyait à l'hôpital embarrassé, une
part de son flux sanieux.


Le grand renfermement hospitalier


Dès la découverte de la contagion tuberculeuse par Villemin, le problème de
l'hospitalisation des tuberculeux s'est posé. Cette contagion nosocomiale a
longtemps été traitée avec légèreté
39, mais devant les ravages, la nécessité des
mesures prophylactiques finit par s'imposer.

Ce retard était dû à la difficulté qu'on avait à prouver la réalité de la
transmission pendant l'hospitalisation. Insidieux, les débuts de la maladie
empêchait dans bien des cas l'incrimination. Elle n'était permise que pour ceux qui
restaient longtemps enfermés dans l'appareil à guérir : les cardiaques et les
diabétiques, les vieillards des hospices et le personnel infirmier.

En 1902, le docteur Letulle étudiait la fréquence de la tuberculose chez les
Augustines de l'Hôtel-Dieu, qui passaient là leur vie entière. Sur 102 décès de 1876
à 1899, il trouva que 82 étaient dus à la tuberculose.
40"Comment s'en étonner,
quand on a fréquenté les galeries de cet hôpital, ruisselantes de crachats l'après-
midi, quand on a vu, ver 1h30 les infirmiers et les infirmières armés de gros balais,
de paille de fer, de plumeaux, soulever avec ardeur toutes les poussières
accumulées sur les planchers pendant la visite du matin."
41


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38Dr L. GUNARD et Th. WOERHEL, "Le dispensaire d'hygiène sociale", RHPS, XLI, (1919),
p. 552.
39KOCH l'estimait restreinte, cf.Die Aetiologie der Tuberculose, Mettheilungen aus dem
kaïserlichen Gesundheitsamte, 11 avril 1885 ; "cette mesure de l'isolement dans les hôpitaux
spéciaux a été déclarée inutile par les contagionnistes les plus convaincus", Dr E. LEUDET, "De
l'influence du séjour à l'hôpital sur la propagation de la tuberculose", RHPS, VIII, (1886), p. 289
(d'après l'auteur 5 % seulement des cas pouvaient lui être attribués).
40Dr. LETULLE, "Les contaminations tuberculeuses à l'hôpital", RHPS, (1900), p. 394.
41Dr. LETULLE, "L'hôpital et ses contaminations tuberculeuses", Presse médicale, (21 mars
1900), p. 107.

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