|
l'impitoyable : le classement hospitalier, toujours infamant. Il posait des problèmes
à l'hôpital lui-même qui refusait les contagieux et obligeait à un nouveau tri.

Les eaux troubles du dispensaire

Vers la mi-XIXème siècle on pouvait lire cet aveu sur la nature du
dispensaire : "Comme moyens préservatifs, l'hygiène publique a trouvé les lazarets
contre les affections pestilentielles, et aussi, les dispensaires des filles publiques
contre les syphilis."32
Il s'agissait alors de reconnaître le danger et de l'enfermer. L'appareil avait été
créé dans le but de mettre efficacement la main sur les "clandestines". Séquestrées,
les femmes étaient obligées de s'y soigner 33. Puis l'idée glissa des prostituées à
une autre catégorie vulnérable et docile : les indigents. En 1874, un dispensaire
spécial pour le traitement gratuit de ceux qui étaient atteints de maladies vénériennes
se proposa d'éviter aux vénériens pauvres, qui ne pouvaient consulter de médecin
dans le secret des cabinets, l'abri d'un univers spécialisé 34. En fait, sous prétexte
de ménager la pudeur des indigents, on en débarrassait les hôpitaux. Déjà, se
profilait l'essentiel du rôle des dispensaires : un déversoir du malheur biologique
conjugué au malheur social. Sous l'apparente ségrégation, s'établissait, par la
gratuité et l'écartement des voies classiques de la réparation sanitaire, une
discrimination qui allait associer pour longtemps la bienfaisance avec un contrôle
ambigu de la gestion de ses fonds et une police sanitaire offensive.
Dès 1905, lors d'un Congrès international de la tuberculose, un rapporteur
avait mis le doigt sur la complexité fonctionnelle du dispensaire anti-tuberculeux.
Les limites de leur budget leur interdisaient l'efficacité d'un véritable centre
pastorien de soins. Ils ne pouvaient pas non plus se livrer exclusivement à la
consultation "sous peine de tomber dans la polyclinique, ou stérile, ou tapageuse,
ou dangereuse" 35. Leur statut, distingué de celui de l'hôpital qui s'occupait de cas
patents, et de celui des sanatoriums chargés des prétuberculeux, était planté dans le
marais conceptuel de la préservation. En fait, très vite, il s'était transformé en
commissariat sanitaire qui fichait les malades, les dirigeait dans leur répartition
spatiale et jusque dans leur conduite sexuelle.
Le dispensaire aiguillait les prétuberculeux vers le sanatorium et
ponctionnait dans les familles ce qui pouvait être sauvé, en plaçant les enfants hors
du foyer bacillaire 36. Dans la famille elle-même, il prodiguait ses conseils et
réapprenait aux gens à s'embrasser avec des filtres-baisers. D'une façon générale,
la bouche devait être isolée et il fallait obtenir du tuberculeux "qu'il se méfie de lui-
même, de son corps et des produits troubles qu'il sécrète, salive, sueur, parcelles
de crachats qui s'égarent" 37. Toute cette police des corps mélangeait les genres :
du pédagogique à l'assistance en passant par le tri, le soin et la condamnation à
l'enfermement hospitalier, elle était la concrétisation de l'affolement institutionnel
produit par la panique de l'impuissance thérapeutique. Il semble bien, pour parfaire


32 PELACY, rapporteur d'une commission chargée d'étudier les dispensaires des filles publiques de
Marseille, HPML, XXV, (1845), p. 298.
33 Une telle obligation existait également pour les militaires vénériens.
34 Dr JEANNEL, "Organisation d'un dispensaire spécial...", HPML, XLI, (1874), p. 308 à 317.
35 Congrès de 1905. Rapport de Courtois-Suffy et Laubry, HPML, IV, 1905, p. 426.
36 En 1903, le docteur GRANCHER créa l'Oeuvre pour la préservation de l'enfance contre la
tuberculose qui récolta en partie les enfants triés par les dispensaires.
37 I. GRELLET et C. KRUSE, Histoires de la tuberculose, Les fièvres de l'âme 1800-1940,
Paris, Ramsay, 1983, p. 204.
|
 |