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On s'accorde sur ce que, au coeur de tout cela, se pose la

question de l'anthropophagie : ces animaux qu'il fallait

déchiqueter pour en dévorer la chair crue ne remplaçaient-

ils pas les humains qu'on sacrifiait à l'origine? Nous avons

peut-être là l'origine du fait que ni les Grecs ni les Romains

n'aient entretenu une horreur particulière à l'égard de

l'anthropophagie. Pour la civilisation Grecque, ensevelir ou

brûler les morts est un devoir familial. Mais, bien que

Sophocle donne le beau rôle à Antigone refusant que le corps

de son frère soit symboliquement
1dévoré par la cité, il ne

présente pas pour autant Créon comme un monstre : la cité a

besoin du corps de Polynice pour assurer sa survie par le

spectacle de la déchéance cadavérique de celui qui voulut la

détruire. Hérodote avait d'ailleurs enseigné qu'il ne fallait

pas être horrifié par les moeurs anthropophagiques : si la

religion d'un peuple imposait de manger les morts et de

considérer leur incinération comme le pire des sacrilèges,

les Grecs et leurs élèves romains ne devaient, ni s'horrifier,

ni mépriser, car les hommes ne pouvaient être jugés pour ce

que leur imposaient leurs dieux
2.


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1Et aussi physiologiquement, dirait la science moderne, puisque la

putréfaction fonctionne comme une digestion.

2Boorstin D., Les Découvreurs, p. 532.


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