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Jean-Pierre BAUD

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forces pour obtenir les résultats juridiques qu'ils souhaitent. En
désincarnant le droit, les Romains ont fait la distinction du
monde magique et du monde juridique : les liens de droit ne
sont pas des envoûtements et les hommes n'ont pas à se

soumettre à la sacralité des choses.
Dans la mise en scène propre à la civilité romaine, les
personnes sont les sujets de droits, les choses des objets de droit.
Dans leurs relations juridiques, les personnes créent entre elles

des liensde droitdu seul fait de leur volonté, avec parfois un
certain formalisme qui, lorsqu'il n'est pas destiné à constituer
une preuve, est un archaïsme qui témoigne du temps où les liens
entre les hommes ne se concevaient que par l'intermédiaire de
rites magiques. Les choses, elles, n'interviennent qu'au titre
d'objets de droit. On se les approprie, on en a l'usufruit,
l'usage, la possession, etc. Il va de soi que cette chose si

particulière qu'est le corps humain, cette chose que l'on est et

que l'on a,
cette chose sacralisée par la croyance en l'origine
surnaturelle de la vie, cette chose-là est nécessairement

escamotée par un tel système.

Les linguistes relèvent que la personadésignait d'abord
le masque du comédien, puis le personnage de théâtre et enfin la
personne juridique. La personne juridique n'est pas la personne
humaine, d'abord en ce qu'une personne juridique peut
regrouper un certain nombre d'humains (association, société,
etc.), ou représenter une masse de biens (fondation), et surtout
en ce que la personne humaine peut exister sans qu'on lui
reconnaisse la qualité de personne juridique. Le patriarche
romain qui rejetait un nouveau né refusait qu'une personne
humaine soit comptée parmi les personnes juridiques. C'est ce
que font aujourd'hui ceux qui, dans un système légal donné,
décident de supprimer un enfant à naître. Incompréhensible
pour certains, scandaleuse pour d'autres, la distinction de la
personne humaine et de la personne juridique rend très fragiles