La loi Huriet du 20 décembre 1988 est la première
loi qui régit la pratique des recherches biomédicales.
Ce terme doit être entendu de façon assez large. Il
recouvre l'ensemble des recherches effectuées sur l'être
humain, conduites selon un protocole, dans le domaine de la biologie
ou de la médecine. Si certaines recherches psychologiques sont
clairement concernées par la loi, la limite du champ
d'application est floue pour les sciences humaines. Les recherches
biomédicales ainsi définies ont désormais un
cadre légal précis.
Notre enquête auprès des psychiatres hospitaliers
d'Alsace montre que la loi est bien connue des psychiatres
très impliqués dans la recherche; elle l'est moins des
autres psychiatres hospitaliers, qui ignorent souvent le cadre
juridique dans lequel s'inscrit leur activité de recherche. La
loi Huriet a fait l'objet d'une large application en psychiatrie pour
les essais médicamenteux; pour les recherches cliniques, le
recours à la loi n'a pas été
systématique, autant par méconnaissance du champ
d'application, que du fait de sa lourdeur d'utilisation. Certains
psychiatres sont plutôt insatisfaits qu'une loi soit intervenue
dans un domaine qu'ils jugent de la compétence de la
déontologie médicale. D'autres, plus nombreux,
insistent au contraire sur la nécessité d'une loi qui
peut éviter des abus. Ce sont surtout les psychiatres qui ont
une grande pratique de la recherche qui ont su s'adapter aux
contraintes de la loi, et qui sont les plus satisfaits de la
légalisation de recherches hier prohibées.
Le législateur a distingué les recherches
biomédicales en deux catégories : les "
recherches avec bénéfice individuel direct
", et les " recherches sans bénéfice individuel
direct ". A ces catégories de recherches
répondent des contraintes différentes pour les
chercheurs. Le concept de bénéfice individuel direct,
selon nous, reproduit dans le droit la confusion entre les soins et
la recherche qui existe dans la pensée médicale, et que
l'on retrouve dans la notion de " recherche clinique "
de la Déclaration d'Helsinki. En effet, la catégorie
des recherches avec bénéfice individuel direct comprend
à la fois des recherches qui respectent la règle de la
raison proportionnée, c'est-à-dire qui confèrent
au patient un bilan risques-avantages au moins égal à
celui des traitements classiques, et des recherches qui ne la
respectent pas, et qui sont conduites dans le souci de
l'intérêt collectif. Par conséquent, une
recherche avec bénéfice individuel direct est une
recherche qui tient lieu de soins, qui se déroule en lieu et
place des soins, et ce, quel que soit l'intérêt de ces
soins par rapport aux traitements classiques.
L'interprétation large que nous faisons de la notion de
bénéfice individuel direct est corroborée par le
fait que les recherches médicamenteuses ont été
conduites selon deux modalités différentes par les
investigateurs alsaciens. Dans les services à petite
activité de recherche, les investigateurs conduisent souvent
leurs recherches selon une démarche de soins. Ils refusent
certaines contraintes imposées par la logique scientifique,
parfois au détriment de la rigueur des recherches, lorsqu'ils
jugent ces contraintes en contradiction avec l'intérêt
personnel de leurs patients. A l'inverse, dans les services à
grande activité de recherche, les investigateurs conduisent
leurs recherches dans une optique expérimentale. Ils acceptent
les contraintes nécessaires à la bonne qualité
scientifique des recherches qu'ils mènent. Il nous semble que
la notion de bénéfice individuel direct ne renseigne ni
sur les risques, ni sur les bénéfices que peut retirer
une personne d'une recherche. De plus, elle est inadaptée pour
définir les contraintes auxquelles sont soumis les chercheurs
qui pratiquent des recherches biomédicales. Nous proposons
donc de distinguer les recherches en deux catégories :
les recherches soumises à la règle de la raison
proportionnée , et les recherches non soumises
à la règle de la raison proportionnée .
Les contraintes qui pèseraient sur les premières
seraient proches de celles qui s'appliquent à l'acte
médical commun. Les contraintes qui pèseraient sur les
secondes dépendraient des risques auxquels sont soumises les
personnes, et non pas des bénéfices qu'elles peuvent
attendre de la recherche.
Le consentement est l'une des conditions indispensables pour que
le médecin ne puisse être poursuivi pour atteinte
à l'intégrité de son patient. Le
législateur a choisi d'aborder le malade mental à
travers la catégorie juridique des majeurs
protégés par la loi. Il en résulte qu'une grande
partie des malades mentaux sont soumis aux règles du
consentement qui s'appliquent aux sujets sains. La limite à
leur inclusion dans une recherche est donc l'impossibilité de
recueillir un consentement libre et éclairé. Or, les
psychiatres estiment que de nombreux malades mentaux ne peuvent
donner un consentement " libre et éclairé
" au sens de la loi, mais plutôt un assentiment. Pour juger de
la qualité de cet assentiment, la plupart des psychiatres
s'appuient sur la capacité du patient à comprendre
l'information qui lui est fournie. D'autres insistent plus sur la
qualité de l'information, ce qui suppose tout de même
que l'information a été plus ou moins bien
comprise.
Dans l'espace qui existe entre le consentement libre et
éclairé exigé par le législateur, et
l'assentiment de beaucoup de patients, il y a une zone de pratiques
incertaines, qu'on n'a pas voulu interdire, mais qui sont
susceptibles de sanctions. C'est dans cette zone que s'effectue, en
pratique, l'inclusion des malades mentaux, qui ont été
globalement peu exclus des recherches pour des raisons d'inaptitude
à consentir. Aucune solution, pour l'instant, ne résout
de façon satisfaisante le problème de l'inclusion des
patients dont la capacité à consentir est
diminuée, qu'il s'agisse du recours aux tuteurs, à la
famille, ou au C.C.P.P.R.B. Nous proposons d'inscrire dans la loi la
possibilité d'un assentiment des personnes, ce
qui ne peut se concevoir sans garanties, mais donnerait un statut
juridique propre aux inclusions des personnes inaptes à
consentir.
Notre enquête suggère que la loi Huriet a
contribué à ce que les psychiatres fournissent une
meilleure information aux patients qui se prêtent à des
recherches. Les conditions formelles du recueil du consentement, en
particulier l'exigence du recueil écrit, ont été
plutôt bien accueillies par les psychiatres. Cependant,
certaines informations, telle celle sur le diagnostic, posent de
réelles difficultés, qu'on ne peut résoudre par
le voeu d'une information totale et univoque. La loi, par ses
exigences quant au contenu de l'information à transmettre aux
personnes, place une limite au-delà de laquelle des
comportements peuvent être sanctionnés. Toutefois, les
psychiatres que nous avons rencontrés ont souvent
insisté sur l'importance d'une information orale. Cette
position rappelle qu'une information, un consentement ou un refus,
n'ont de valeur que par le sens qu'ils peuvent recouvrir. Or, ce sens
ne peut être véhiculé qu'à travers une
parole.
Le système choisi par le législateur, qui repose sur
le consentement des personnes qui se prêtent aux recherches, a
eu pour effet de créer une catégorie de personnes
vulnérables : celles qui n'ont pas la faculté ou la
liberté de refuser de se prêter à une
expérimentation. Le législateur n'a pas voulu
écarter ces personnes vulnérables des recherches
biomédicales qui ne leur apportent pas de
bénéfice personnel. Ceci aurait eu pour
conséquence que certaines catégories de malades, en
particulier les malades mentaux, ne puissent profiter des
progrès de la médecine. Il nous semble que les mesures
de protection accordées à ces personnes
vulnérables ne tiennent pas suffisamment compte des motifs de
la protection. L'exigence d'un bénéfice direct et
majeur convient bien à la protection de toutes les personnes
hospitalisées sous contrainte, auxquelles il est primordial de
fournir des soins. Chez les personnes qui présentent une
inaptitude psychique à consentir, il serait possible de
n'autoriser les recherches non soumises à la règle de
la raison proportionnée, qu'à la condition que ces
recherches soient en rapport avec la maladie qui est à
l'origine de l'inaptitude. Chez les malades et chez les personnes
dépendantes d'une institution, il serait souhaitable de
limiter les recherches non soumises à la règle de la
raison proportionnée à celles qui ne peuvent être
conduites sur d'autres catégories de personnes.
L'instauration par le législateur d'un devoir civique de recherche, qui aurait mis en évidence le caractère expérimental des recherches, et supposerait des inclusions autoritaires, aurait probablement été mal accueillie. Au contraire, le système d'apparence libérale de la loi Huriet masque le caractère expérimental des recherches conduites sur les malades. Il tient compte de l'avis des individus, mais laisse se pratiquer dans l'ombre l'inclusion des personnes inaptes à donner un consentement libre et éclairé.