A. RETAULT

Loi Huriet et protection du malade mental.

Enquête auprès des psychiatres hospitaliers d'Alsace

Thèse de médecine, Strasbourg, 1995, © A. Retault

Conclusion (p. 434 à 443)

La loi Huriet du 20 décembre 1988 est la première loi qui régit la pratique des recherches biomédicales. Ce terme doit être entendu de façon assez large. Il recouvre l'ensemble des recherches effectuées sur l'être humain, conduites selon un protocole, dans le domaine de la biologie ou de la médecine. Si certaines recherches psychologiques sont clairement concernées par la loi, la limite du champ d'application est floue pour les sciences humaines. Les recherches biomédicales ainsi définies ont désormais un cadre légal précis.

Notre enquête auprès des psychiatres hospitaliers d'Alsace montre que la loi est bien connue des psychiatres très impliqués dans la recherche; elle l'est moins des autres psychiatres hospitaliers, qui ignorent souvent le cadre juridique dans lequel s'inscrit leur activité de recherche. La loi Huriet a fait l'objet d'une large application en psychiatrie pour les essais médicamenteux; pour les recherches cliniques, le recours à la loi n'a pas été systématique, autant par méconnaissance du champ d'application, que du fait de sa lourdeur d'utilisation. Certains psychiatres sont plutôt insatisfaits qu'une loi soit intervenue dans un domaine qu'ils jugent de la compétence de la déontologie médicale. D'autres, plus nombreux, insistent au contraire sur la nécessité d'une loi qui peut éviter des abus. Ce sont surtout les psychiatres qui ont une grande pratique de la recherche qui ont su s'adapter aux contraintes de la loi, et qui sont les plus satisfaits de la légalisation de recherches hier prohibées.

Le législateur a distingué les recherches biomédicales en deux catégories : les " recherches avec bénéfice individuel direct ", et les " recherches sans bénéfice individuel direct ". A ces catégories de recherches répondent des contraintes différentes pour les chercheurs. Le concept de bénéfice individuel direct, selon nous, reproduit dans le droit la confusion entre les soins et la recherche qui existe dans la pensée médicale, et que l'on retrouve dans la notion de " recherche clinique " de la Déclaration d'Helsinki. En effet, la catégorie des recherches avec bénéfice individuel direct comprend à la fois des recherches qui respectent la règle de la raison proportionnée, c'est-à-dire qui confèrent au patient un bilan risques-avantages au moins égal à celui des traitements classiques, et des recherches qui ne la respectent pas, et qui sont conduites dans le souci de l'intérêt collectif. Par conséquent, une recherche avec bénéfice individuel direct est une recherche qui tient lieu de soins, qui se déroule en lieu et place des soins, et ce, quel que soit l'intérêt de ces soins par rapport aux traitements classiques.
L'interprétation large que nous faisons de la notion de bénéfice individuel direct est corroborée par le fait que les recherches médicamenteuses ont été conduites selon deux modalités différentes par les investigateurs alsaciens. Dans les services à petite activité de recherche, les investigateurs conduisent souvent leurs recherches selon une démarche de soins. Ils refusent certaines contraintes imposées par la logique scientifique, parfois au détriment de la rigueur des recherches, lorsqu'ils jugent ces contraintes en contradiction avec l'intérêt personnel de leurs patients. A l'inverse, dans les services à grande activité de recherche, les investigateurs conduisent leurs recherches dans une optique expérimentale. Ils acceptent les contraintes nécessaires à la bonne qualité scientifique des recherches qu'ils mènent. Il nous semble que la notion de bénéfice individuel direct ne renseigne ni sur les risques, ni sur les bénéfices que peut retirer une personne d'une recherche. De plus, elle est inadaptée pour définir les contraintes auxquelles sont soumis les chercheurs qui pratiquent des recherches biomédicales. Nous proposons donc de distinguer les recherches en deux catégories : les recherches soumises à la règle de la raison proportionnée , et les recherches non soumises à la règle de la raison proportionnée . Les contraintes qui pèseraient sur les premières seraient proches de celles qui s'appliquent à l'acte médical commun. Les contraintes qui pèseraient sur les secondes dépendraient des risques auxquels sont soumises les personnes, et non pas des bénéfices qu'elles peuvent attendre de la recherche.

Le consentement est l'une des conditions indispensables pour que le médecin ne puisse être poursuivi pour atteinte à l'intégrité de son patient. Le législateur a choisi d'aborder le malade mental à travers la catégorie juridique des majeurs protégés par la loi. Il en résulte qu'une grande partie des malades mentaux sont soumis aux règles du consentement qui s'appliquent aux sujets sains. La limite à leur inclusion dans une recherche est donc l'impossibilité de recueillir un consentement libre et éclairé. Or, les psychiatres estiment que de nombreux malades mentaux ne peuvent donner un consentement " libre et éclairé " au sens de la loi, mais plutôt un assentiment. Pour juger de la qualité de cet assentiment, la plupart des psychiatres s'appuient sur la capacité du patient à comprendre l'information qui lui est fournie. D'autres insistent plus sur la qualité de l'information, ce qui suppose tout de même que l'information a été plus ou moins bien comprise.
Dans l'espace qui existe entre le consentement libre et éclairé exigé par le législateur, et l'assentiment de beaucoup de patients, il y a une zone de pratiques incertaines, qu'on n'a pas voulu interdire, mais qui sont susceptibles de sanctions. C'est dans cette zone que s'effectue, en pratique, l'inclusion des malades mentaux, qui ont été globalement peu exclus des recherches pour des raisons d'inaptitude à consentir. Aucune solution, pour l'instant, ne résout de façon satisfaisante le problème de l'inclusion des patients dont la capacité à consentir est diminuée, qu'il s'agisse du recours aux tuteurs, à la famille, ou au C.C.P.P.R.B. Nous proposons d'inscrire dans la loi la possibilité d'un assentiment des personnes, ce qui ne peut se concevoir sans garanties, mais donnerait un statut juridique propre aux inclusions des personnes inaptes à consentir.
Notre enquête suggère que la loi Huriet a contribué à ce que les psychiatres fournissent une meilleure information aux patients qui se prêtent à des recherches. Les conditions formelles du recueil du consentement, en particulier l'exigence du recueil écrit, ont été plutôt bien accueillies par les psychiatres. Cependant, certaines informations, telle celle sur le diagnostic, posent de réelles difficultés, qu'on ne peut résoudre par le voeu d'une information totale et univoque. La loi, par ses exigences quant au contenu de l'information à transmettre aux personnes, place une limite au-delà de laquelle des comportements peuvent être sanctionnés. Toutefois, les psychiatres que nous avons rencontrés ont souvent insisté sur l'importance d'une information orale. Cette position rappelle qu'une information, un consentement ou un refus, n'ont de valeur que par le sens qu'ils peuvent recouvrir. Or, ce sens ne peut être véhiculé qu'à travers une parole.

Le système choisi par le législateur, qui repose sur le consentement des personnes qui se prêtent aux recherches, a eu pour effet de créer une catégorie de personnes vulnérables : celles qui n'ont pas la faculté ou la liberté de refuser de se prêter à une expérimentation. Le législateur n'a pas voulu écarter ces personnes vulnérables des recherches biomédicales qui ne leur apportent pas de bénéfice personnel. Ceci aurait eu pour conséquence que certaines catégories de malades, en particulier les malades mentaux, ne puissent profiter des progrès de la médecine. Il nous semble que les mesures de protection accordées à ces personnes vulnérables ne tiennent pas suffisamment compte des motifs de la protection. L'exigence d'un bénéfice direct et majeur convient bien à la protection de toutes les personnes hospitalisées sous contrainte, auxquelles il est primordial de fournir des soins. Chez les personnes qui présentent une inaptitude psychique à consentir, il serait possible de n'autoriser les recherches non soumises à la règle de la raison proportionnée, qu'à la condition que ces recherches soient en rapport avec la maladie qui est à l'origine de l'inaptitude. Chez les malades et chez les personnes dépendantes d'une institution, il serait souhaitable de limiter les recherches non soumises à la règle de la raison proportionnée à celles qui ne peuvent être conduites sur d'autres catégories de personnes.

L'instauration par le législateur d'un devoir civique de recherche, qui aurait mis en évidence le caractère expérimental des recherches, et supposerait des inclusions autoritaires, aurait probablement été mal accueillie. Au contraire, le système d'apparence libérale de la loi Huriet masque le caractère expérimental des recherches conduites sur les malades. Il tient compte de l'avis des individus, mais laisse se pratiquer dans l'ombre l'inclusion des personnes inaptes à donner un consentement libre et éclairé.

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