Université Paris X - NANTERRE
1ère année de DEUG - UP 2 : Histoire du droit
(2e semestre de l'Année 2000-2001) - Ière partie, titre II, chapitre 2
¶ I - L'armée
§ 1 - Distinction de la guerre et de la justice
§ 2 - Apparition de l'obligation civique
§ 3 - L'armée à Rome
A - Aspects culturels de la guerre
1 - La sacralité de la guerre
Les fétiaux étaient dans la Rome archaïque un collège, de prêtres chargés de déclarer la guerre en s'assurant du soutien des dieux. Selon Georges Dumézil, leur nom ferait référence à " la base ", au " fondement ". Ils étaient donc chargés d'établir le fondement religieux permettant à l'armée de Rome d'avancer légitimement en territoire ennemi et de dicter ensuite ses conditions aux vaincus.
- Il s'agissait ainsi de mettre le droit de son côté en déclarant que la guerre était juste aux yeux des dieux, et donc des hommes.En pratique, les fétiaux étaient chargés d'aller réclamer officiellement quelque chose que le peuple agressé devrait rendre à Rome. C'était évidemment un vol fictif. Deux fétiaux se rendaient ainsi à la frontière du peuple prétendument coupable et prenaient Jupiter à témoin de la légitimité de leur demande. Ensuite ils pénétraient en territoire ennemi et réitéraient leur demande, dans les termes liturgiques d'usage, à la première personne rencontrée, qui évidemment ne comprenait rien à l'affaire. Ils allaient ensuite répéter la formule consacrée à la porte de la cité agressée, puis sur le forum de la ville, annonçant aux magistrats que, faute de restitution, la guerre serait déclarée sous trente jours. Au terme de ce délai, les deux fétiaux déclaraient la guerre en se rendant à la frontière et en lançant un javelot sur le territoire ennemi. L'intérêt de cette procédure est d'abord d'ordre anthropologique : on peut trouver des formes semblables dans d'autres sociétés (par exemple chez les Indiens d'Amérique du Nord). C'est aussi l'expression première d'une prétention à la guerre juste, la guerre où Rome prétendra toujours avoir quelque chose à défendre, supercherie par laquelle elle pourra ainsi constituer son Empire en se présentant toujours comme une victime, et donc comme étant soutenue par les dieux dans ses entreprises.
- La sacralité de la guerre expliquait aussi d'autres manifestations : ouverture du temple de Janus (divinité du passage, par exemple d'une année à l'autre - d'où son mois, le mois de janvier - et aussi du passage de la paix à la guerre, ainsi que le sacrifice d'un cheval à la fin de la campagne (en octobre) et, à la même époque, la purification des armes.
2 - La guerre et le sport
- Il s'agit en fait d'un triptyque : il y a à l'origine du sport un lien profond entre le sport, la guerre et le sacré. Dans la Rome archaïque on entrait dans le mois dédié au dieu de la guerre, Mars, par une série d'exercices destinés à mettre le futur combattant dans un état de "fureur" (la furor), c'est à dire un état qui serait celui de la folie (à Rome un fou était un furiosus) s'il n'avait pas été artificiellement causé par le sport et la liturgie. C'est pour atteindre cet état que des courses de chevaux se déroulaient entre la mi-février et la mi mars, en alternance avec des défilés, des chants, des danses, dans un décor de symboles guerriers et de musiques obsédantes rythmées par la percussion des boucliers. On devait ainsi atteindre à la mi-mars l'état de fureur nécessaire pour partir en guerre.
- Nous verrons plus loin que le même lien entre la religion, la guerre et le sport existait à l'origine des jeux olympiques.
- Notons aussi que la notion de champion (dont l'origine est dans le campus latin, c'est-à-dire le champ de bataille) liait à la valeur militaire, et aussi à la notion religieuse du sacrifice, les exploits individuels remplaçant les batailles rangées. Voyez le célèbre combat des Horaces et des Curiaces et ce qu'il signifie, au chapitre de l'exploit sportif (course et escrime), de la lutte armée (victoire de Rome sur Albe) et du sacrifice (culte des morts pour la patrie). C'est pourquoi l'Eglise, qui condamnait le duel, l'acceptait quand il s'agissait d'un combat de champions évitant de nombreuses morts. On comprend aussi pourquoi, dans la presse sportive du début du XXe siècle, les duels faisaient l'objet d'une rubrique spécialisée.
B - L'évolution de l'armée
- Jusqu'au IIe siècle avant J.-C., Rome réussit à maintenir le principe d'une obligation civique remontant aux origines de son histoire : la notion même de peuple impliquait l'idée de peuple en arme. La pratique fut longtemps de mesurer l'obligation militaire à l'importance de la fortune. Mais le système se dégrada, les plus riches tentant d'échapper à l'obligation, et les plus pauvres s'engageant à leur place (depuis qu'une maigre solde les attiraient et aussi dans la perspective du butin et du pillage), lesquels se sentaient cependant moins motivés en ce qu'ils n'avaient pas le sentiment de participer aux profits des conquêtes (partage de l'ager publicus). Les choses se dégradèrent totalement dans le contexte des luttes sociales de la fin de la République (désertions, mutineries, etc.).
- C'est pourquoi le consul Caius Marius, à la fin du IIe siècle av. J.-C., put imposer un système militaire entièrement nouveau : une armée composée de mercenaires. L'obligation militaire devenait dès lors la contrepartie, non pas d'un devoir familial ou civique, mais d'une relation de type juridique.
- Techniquement, le système ne donna pas de mauvais résultats. Mais moralement, et donc politiquement, il en alla autrement. Liés à leur chef dans la guerre, les mercenaires, qui lui devaient tout, lui conservaient leur appui dans la vie politique. Ceux qui mirent fin à la République en attisant la guerre civile trouvèrent facilement des mercenaires dévoués à leur cause.
¶ II - La constitution de l'empire
§ 1 - Les mobiles
§ 2 - L'Italie
Jusqu'au milieu du IVe siècle av. J.-C., les campagnes militaires en Italie furent réellement défensives. Jusque là, la vulnérabilité de Rome s'illustrait dans la prise de la ville par les Gaulois au début de ce siècle, défaite qui resta unique jusqu'à l'écroulement de l'Empire d'Occident (Hannibal, lui-même, n'osera pas attaquer la ville de Rome). Entre le milieu du IVe et le milieu du IIIe siècle av. J.-C., Rome s'imposa aux peuples du centre de l'Italie, aux Gaulois qui, au Nord, étaient présents jusqu'à Bologne, et à l'Italie du Sud qui, hellénisée, la menaçait autant culturellement que politiquement (à Tarente, principal foyer de résistance, on parla grec jusqu'au milieu du Moyen Age et, aujourd'hui, dans certains villages isolés des Abruzzes, les vieilles personnes ne parlent toujours que le grec).
§ 3 - Le monde méditerranéen
A - Les Guerres puniques
- C'est avec le tournant des Guerres puniques (de Poeni, terme par lequel les Romains désignaient les Carthaginois) que Rome devint une puissance méditerranéenne.
- Jusqu'au début du IIIe siècle av. J.-C., Carthage, colonie phénicienne (proche de l'actuelle Tunis) installée en un pays peuplé de Berbères, vécut en bonne entente avec Rome : Carthage se consacrait au commerce maritime en Méditerranée et Rome s'imposait sur terre, en Italie. Les choses se gâtèrent lorsque Rome, ayant conquis toute l'Italie, s'en prit à la Sicile qui, jusque là, avait été partagée entre les Grecs et les Carthaginois.
- Ce fut l'origine de la première Guerre punique (264-241). Elle se termina par une victoire navale de Rome et par une paix qui humilia Carthage sans détruire sa puissance.
- Cependant Rome était devenue à cette occasion une puissance navale dans une Méditerranée qui, jusqu'au XVIe siècle, resta le lieu d'affrontement maritime des grandes puissances. C'est pourquoi, le génie d'Hannibal fut, lors de la seconde Guerre punique (218-202), de transformer les Carthaginois (c'est-à-dire des Phéniciens), en redoutables fantassins. Ce second affrontement est bien connu, qui montre Hannibal et ses fameux éléphants (une terrible arme psychologique, entre autres) remonter l'Espagne et franchir les Alpes. N'ayant pas osé prendre Rome, Hannibal connut ensuite une série de défaites, et cela jusque sur le sol africain, d'où il dut s'enfuir en espérant vainement trouver en Orient des alliés contre Rome.
- Condamnée à payer un lourd tribut pendant 50 ans (202-152), Carthage honora ponctuellement ses échéances jusqu'à la dernière, puis cessa brutalement de payer. Ce qui nous semble juridiquement normal était une lourde faute politique : Carthage avait montré que sa puissance économique restait intacte et qu'elle demeurait politiquement dangereuse. Le prétexte le plus futile suffit à déclencher la troisième Guerre punique (149-146), dont l'objectif était, comme le voulait tant le censeur Caton, de "détruire Carthage". Les fouilles archéologiques démontrent aujourd'hui la réalité de la destruction. Sa population fut entièrement réduite en esclavage et son domaine, par ailleurs voué aux dieux infernaux et semé de sel, fut annexé par Rome. Carthage fut remplacée, au début de l'Empire par la ville Romaine de Byrsa, puis, après la conquête arabe, par celle de Tunis.
B - La conquête de l'Orient
A partir du IIe siècle av. J.-C., Rome, trouvant un prétexte dans les conspirations orientales d'Hannibal en exil, s'en prit à la Macédoine. Victorieuse, elle déclara avoir libéré les Grecs, et leur imposa une autorité qu'ils ne pouvaient refuser à leur libératrice... Et c'est aussi en se présentant comme libératrice et bienfaitrice qu'elle étendit son autorité au Proche-Orient. L'autorité de Rome ayant été établie sur l'Afrique du Nord, l'Espagne et le Provence à l'occasion des Guerres puniques, l'Empire de la République romaine s'étendait, à la fin du IIe siècle av. J.-C., sur l'ensemble du monde méditerranéen (à l'exception de l'Egypte).
C - Les autres conquêtes
Dans les dernières années de la République, entre César et Auguste, l'emprise romaine s'étendit encore à la Gaule, l'Angleterre et l'Egypte. Mais l'autorité de Rome ne parvint pas à s'établir au-delà du Rhin et du Danube. C'est de là que, dès le IIe siècle, se produisirent des infiltrations barbares qui devinrent bientôt des invasions.