Université Paris X - NANTERRE

1ère année de DEUG - UP 2 : Histoire du droit

(2e semestre de l'Année 2000-2001) - Ière partie, titre 2, chapitre 1, sect. 3, § 1 et § 2


(Rappel : chapitre 1 - La mise en place des institutions, ¶ III, § 1 et §2)

 

 

¶ III La république des compromis

 

§ 1 - La Loi des XII Tables, texte fondateur

 

A - La supériorité du droit sur la philosophie

  • En ce domaine le témoignage de Cicéron est particulièrement important, d'abord parce que Cicéron est le plus philosophe des juristes et le plus juriste des philosophes, et aussi parce que son témoignage intervient quatre siècles après la Loi des XII Tables, dans une Rome cultivée, commerçante et ouverte sur le monde, une Rome qui n'a plus grand-chose de commun avec la société rurale, naïvement cruelle et obsédée par des croyances magico-religieuses qui s'exprime dans la Loi des XII Tables.
  • Dans le Traité des lois , Cicéron se met en scène, un beau jour d'été de l'an 52 avant J.-C., avec quelques notables romains. Entre autres, ils se souviennent avec attendrissement d'une récitation de leur enfance :
      Au temps, Quintus, où nous étions petits, nous avons appris à donner le nom de lois à des formules comme :"Si l'on cite en justice" (Si in ius vocat ) et autres de ce genre.

     

  • Cicéron nous apprend ainsi que dans cette société urbaine, brillante et cultivée de cette Rome en fin de République, les enfants apprenaient par coeur la Loi des XII Tables, un texte désignant une société agricole où l'on croyait pouvoir s'emparer magiquement de la récolte de son voisin, où l'on devait enquêter sur un vol en caleçon et avec un plat à la main (lance licioque ) et où un débiteur insolvable pouvait être coupé en morceaux.
  • En fait, il n'est pas nécessaire, pour un texte fondateur, qu'il soit applicable ni même compris. La Loi des XII Tables restera toujours un texte fondateur en ce qu'elle sera toujours considérée comme la loi écrite qui, aux origines de la République romaine, a servi de fondement à son organisation politique, a justifié la prétention romaine de dominer le monde et la croyance en sa mission d'installer son droit au coeur de la civilisation. C'est parce que la Loi des XII Tables était tout cela dans l'esprit de Cicéron que celui-ci osa, dans son traité sur L'Orateur , affirmer que la Loi des XII Tables était philosophiquement supérieure à toutes les Ecoles d'Athènes :
      Libre à tout le monde de protester : je n'en dirai pas moins ce que je pense. Oui, prenez toutes les collections d'ouvrages de tous les philosophes réunis ; à lui seul, le petit livre des XII Tables, source et fondement de nos lois, me paraît, tant par son autorité imposante que par sa féconde utilité, leur être infiniment supérieur.

     

  • En d'autres termes, cette sagesse du droit dont les Romains se considèrent comme les inventeurs est pour Cicéron une philosophie en soi, la philosophie d'un peuple vainqueur, qui impose sa paix et sa loi :
      Enfin, préférez-vous la philosophie, fière dominatrice, dites-vous, du savoir humain ; eh bien! j'ose l'affirmer, ne cherchez pas ailleurs la source de toutes ses discussions : elle est dans le droit civil et les lois.

 

B - La découverte de l'histoire du droit

  • L'ennui, lorsqu'on se rattache à un texte fondateur ayant plus de six cents ans, c'est qu'on peut rencontrer un mauvais esprit décidé à critiquer l'archaïsme du texte.
    La scène se déroule au début du IIe siècle, dans cette cour de l'Empereur Hadrien, qui commençait à réunir tout ce qui comptait dans la science juridique et quelques philosophes en renom.
  • Aulu-Gelle nous raconte dans les Nuits attiques qu'un jour, en cette cour d'Hadrien, il assista à une belle querelle entre le philosophe Favorinus d'Arles, et le jurisconsulte Sextus Caecilius Africanus.
  • Favorinus avait provoqué le jurisconsulte en lui montrant que certains articles de la Loi des XII Tables étaient beaucoup trop obscurs. Il ajoutait que cette dangereuse obscurité se combinait avec une incompréhensible sévérité ou une effarante indulgence. Comment pouvait-on admirer un tel texte?
  • Toute la défense d'Africanus s'est alors appuyée sur l'histoire du droit. Selon lui, Favorinus ne réalise pas que ces textes ont environ six cents ans et que le temps a fait oublier le sens et le contexte des mots qui y étaient utilisés.
  • Favorinus ayant accusé les Douze Tables de cruauté, puisqu'elles autorisaient à traîner en justice un invalide juché sur une bête de somme, cruauté qui contrastait avec une incroyable indulgence en ne condamnant qu'à 25 as celui qui s'était livré à une violence physique, Africanus lui rétorqua que les lois devaient servir à apporter des solutions aux problèmes d'une époque et que seul le contexte de cette époque permettait de les comprendre. En ce qui concernait le transport de l'invalide, le mot jumentum signifiait alors, non seulement la bête de somme ou de trait, mais aussi le véhicule tiré par l'attelage. En outre Favorinus ne connaissait pas l'histoire de la monnaie romaine et de sa dépréciation : à l'époque des XII Tables, 25 as étaient une somme importante. La dépréciation monétaire (illustrée par l'histoire du riche excentrique qui giflait les passants et leur donnait aussitôt les 25 as auxquels ils avaient droit) fut la cause d'une réaction de l'édit du préteur en ce domaine. Favorinus aurait, selon Aulu-Gelle, reconnu sa défaite dans la joute oratoire.

Pour nous, c'est la première fois qu'un juriste faisait un cours d'histoire du droit.

 

§ 2 - Les sources du droit

 

A - La coutume

  • A l'époque républicaine, le peuple romain est juriste, mais non législateur.
    Notons d'abord, que cette fameuse Loi des XII Tables, dont il sera bientôt question, fut une rédaction de coutumes.
  • En outre, on est impressionné par tout ce qui, à Rome, est un produit de cette expression particulière de la coutume que les Romains appelaient l'"usage des ancêtres" (mos majorum ), usage formé d'un mélange de normes domestiques et de règles civiques. De nombreuses règles religieuses, de comportement social, de vie familiale font référence à cet usage des ancêtres. De plus, c'est parce que ces notions puisaient leur origine dans l'usage des ancêtres que les Romains n'ont jamais considéré comme nécessaire de définir législativement des concepts juridiques aussi fondamentaux que la puissance paternelle, l'obligation, la succession et l'antique notion de propriété (le dominium ).

B - La loi

  • Il vient d'être rappelé que les Romains avaient produit très peu de lois. Et celles qu'ils ont votées concernaient très rarement le droit privé : la loi était surtout destinée à régler une question politique ou sociale.
  • Les projets de loi venaient toujours d'un magistrat supérieur (consul, tribun, voire dictateur). Les textes étaient votés par les comices centuriates ou tributes.
  • En ce qui concernait la sanction, on distinguait les lois parfaites (nullité), moins parfaites (amende) ou imparfaites (absence de sanction). Cette dernière catégorie confirme la timidité des Romains dans le domaine législatif.

C - L'édit

Face à la carence législative, on doit à l'édit du préteur, et dans une moindre mesure à celui de l'édile, l'essentiel de l'évolution du droit sous la période républicaine. Nous détaillerons ceci en étudiant la fonction de ces magistrats.

D - La doctrine (jurisprudentia )

  • Le dernier bastion de la résistance patricienne, face à la poussée plébéienne, fut la société des prêtres. Ces pontifes, qui avaient si longtemps conservé le droit comme un secret, retinrent, même après la Loi des XII Tables, le secret des formules nécessaires pour intenter une action judiciaire, ou pour se défendre efficacement. En se trompant sur un seul mot (par exemple en parlant d'"arbustes" alors qu'il fallait dire "vignes", on pouvait perdre, définitivement! son procès). En outre les pontifes gardaient jalousement le secret des jours fastes et néfastes. En introduisant une action un jour néfaste, on était de la même façon définitivement perdant.
  • C'est pourquoi, à la fin du IVe siècle av. J.-.C., Appius Claudius (scribe de Gneus Flavius, une espèce de Clisthène romain) dévoila le texte des formules ainsi que la liste des jours fastes et néfastes.
  • C'est alors que commença un mouvement qui conduisit la doctrine juridique romaine de la religion à la philosophie du droit, celle qu'on a si bien définie comme étant la "sagesse du droit", c'est-à-dire ce que nous appelons la doctrine (ce n'est qu'à partir du XVIIe siècle que la jurisprudence a commencé à désigner la source du droit issue des décisions des tribunaux). Symbole de la laïcisation du droit, le premier grand pontife plébéien donna des consultations en public au milieu du IIIe siècle av. J.-C. On vit ainsi apparaître une profession juridique qui, à la fin de la République, donnait des conseils, plaidait, jugeait (le magistrat désignait un juge parmi ceux qui connaissaient le droit) et qui commençait à produire une littérature juridique spécialisée, chose tout à fait nouvelle dans la culture occidentale.
  • C'est ainsi qu'à la fin de la période républicaine, confirmant l'analyse de Cicéron qui faisait de la "sagesse du droit" (jurisprudence) quelque chose de supérieur à l'"amour de la sagesse" (la philosophie) que l'on dispensait dans les quatre écoles d'Athènes (l'Académie de Platon, le Lycée d'Aristote, le Jardin d'Epicure et le Portique des Stoïciens).
  • Effectivement, il se produisit, à la charnière de la République et de l'Empire un phénomène rigoureusement incompréhensible pour les philosophes grecs. Les juristes romains se séparèrent en deux écoles de pensée, les Sabiniens et les Proculiens. Dire ce qui distinguait les deux écoles serait une longue affaire, et l'on est loin de s'entendre à ce sujet : certains on même avancé qu'il suffisait qu'une école avance une théorie pour que l'autre prenne le contre-pied. Peu importe. Nous devons surtout retenir que l'existence de ces deux écoles permit de débattre sur des questions majeures, des questions impliquant une profonde réflexion dans le domaine de la philosophie juridique. Un exemple. Une esclave a fait l'objet d'un usufruit, ou a été remise en gage. Rendue à son propriétaire, doit-on aussi rendre l'enfant né d'elle dans l'intervalle. La réponse (qui fut positive) soulevait à la fois la question de la distinction de l'homme et des autres mammifères (philosophie naturelle) et celle de la personnalité juridique de l'esclave (philosophie juridique). Voilà pourquoi les Romains pouvaient prétendre que leur jurisprudence valait bien n'importe quelle école philosophique grecque.

 


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