Université Paris X - NANTERRE

1ère année de DEUG - UP 2 : Histoire du droit

(2e semestre de l'Année 2000-2001) - Ière partie, titre I, chapitre 2


Chapitre 2

Le pouvoir patriarcal politique

 

Le pouvoir patriarcal, c'est-à-dire une institution politique fondée sur l'autorité du père de famille ou, plus généralement, sur l'homme âgé, est la constante la plus solide de l'histoire institutionnelle.
Dans cette optique, le Sénat romain retient l'attention, non seulement parce qu'il traverse toute l'histoire institutionnelle de Rome, mais encore parce qu'il fait le lien entre les conseils d'anciens des sociétés archaïques et le bicaméralisme (ou bicamérisme) moderne.

¶ I - Le Sénat romain sous la période royale

  • Depuis l'époque royale la "chose publique" romaine s'exprime par un sigle : S.P.Q.R. (Senatus populusque romanus : le Sénat et le peuple romain) qui est d'ailleurs toujours utilisé par l'actuelle municipalité romaine (sur certains équipements collectifs).
  • Ce que les Romains ont appelé le populus était le peuple en armes. Le Sénat était composé de patres (pluriel de pater ). Le pater, n'était pas un père dans le sens génétique (lequel s'appelait en latin le genitor ). Le pater était le chef d'un groupe humain appelé la famille composé d'individus avec lesquels il n'avait pas nécessairement des liens de sang (d'ailleurs la familia désignait à l'origine un groupe d'esclaves et de domestiques). En fait, les patres furent à l'origine des chefs, peut être élus, de gentes (pluriel de gens) : groupes ayant une ascendance commune, composés de plusieurs centaines d'individus, mais associées à plusieurs milliers de clients (personnes protégées par un gens, mais pouvant aussi l'aider très efficacement : le rapport entre le patron et le client fut une institution romaine fondamentale). Les patriciens se présentèrent ensuite comme les descendants de ces premier patres. A partir de la république les patres seront des chefs de famille. C'est dans ce milieu de patriciens qu'est né, avant l'apparition des rois, le Sénat.
  • Nous ne connaissons pas grand-chose sur le fonctionnement du Sénat à l'époque royale. En revanche, l'institution apparaît d'emblée comme possédant une grande autorité, laquelle est liée à deux fonctions essentielles :
    • - L'interrègne : en l'absence d'un roi le Sénat désigne l'un de ses membres qui exerce ses fonctions. L'interrègne indique en fait la supériorité du Sénat.
    • - Surtout, en prolongement des pouvoirs religieux du père dans le cadre familial, le Sénat possède un pouvoir important dans le domaine des auspices, c'est-à-dire dans la procédure d'interrogation des dieux sur les affaires publiques, auspices qui, dans la Rome païenne, étaient un élément majeur de la vie publique.

¶ II - Le Sénat sous la République romaine

A cette époque, le Sénat a deux fonctions essentielles :

  • - Juridiquement : prendre part à tous les actes engageant la vie de la cité et ses relations avec l'étranger.
  • - Politiquement : maintenir le pouvoir entre les mains d'une oligarchie.

§ 1 - Composition

  • On distinguait les patres et les conscripti.
  • Les patres furent à l'origine les pères des principales familles patriciennes. Ensuite, cette catégorie fut composée d'anciens magistrats patriciens.
  • Les conscripti (littéralement "ceux qui étaient inscrits avec") furent ajoutés pour donner un accès au Sénat à la partie plébéienne de la noblesse (catégorie sociale formée de l'aristocratie des patriciens et des plus riches des plébéiens ayant exercé une fonction de magistrat).
  • L'appartenance à la classe sénatoriale dépendait d'un choix du censeur, dont on voit se confirmer ici l'importance politico-sociale.

§ 2 Attributions

A - Fondements du pouvoir

  • Interrègne : après la monarchie, un interrex était nommé en cas de vacance du pouvoir chez les magistrats supérieurs (consuls). Seul un pater pouvait occuper cette fonction impliquant le pouvoir de consulter les auspices.
  • L'"autorité des pères" (auctoritas patrum). Qu'il s'agisse de l'élection d'un magistrat ou du vote d'une loi, la décision d'une assemblée républicaine n'était appliquée que si elle obtenait l'accord du Sénat. Comme il n'y avait pas de recours supérieur en cas de conflit entre le Sénat et l'assemblée, le pouvoir de s'opposer a posteriori fut remplacé, à la fin du IVe siècle av. J.-C., par une autorisation préalable.
  • Gardien du culte : le Sénat était garant du maintien de la religion romaine et de l'accueil par Rome de cultes étrangers.
  • En revanche, le Sénat n'avait pas de pouvoir législatif. Les senatus-consultes qu'il votait étaient en fait une invitation faite aux magistrats de prendre les mesures nécessaires à la mise en application de la volonté du Sénat.

B - Relations avec l'extérieur

  • Représentation de la cité à l'étranger.
  • Pouvoir de décider les opérations militaires.

C - Domaine financier et économique

  • Gestion du trésor public
  • Administration de l'ager publicus (terres appropriées par l'Etat romain à la suite des conquêtes).

     

D - Contrôle et jugement des magistrats romains et provinciaux

Les grands procès politiques avaient lieu devant le Sénat (nous parlerions aujourd'hui d'une "Haute cour"

¶ III Le Sénat dans l'Empire romain

 

  • Le rôle du Sénat sera essentiel dans l'évolution des institutions républicaines qui conduisit à l'Empire. Déjà, la dictature de César avait été approuvée par le Sénat. Le pouvoir personnel de son fils adoptif, Octave, fut d'abord exercé avec l'appui du Sénat. Octave, devenu ce que nous appelons aujourd'hui un "homme providentiel", eut l'habileté, dans une séance dramatique de l'an 27 avant J.-C., de remettre tous ses pouvoirs entre les mains des sénateurs, lesquels l'implorèrent de les reprendre. C'est alors que Octave devint l'empereur Auguste, nom justifié par le fait qu'en plus des pouvoirs républicains il avait obtenu l'auctoritas (autorité personnelle confirmée par l'"autorité des pères").
  • Au Ier et au IIe siècle, les sénateurs, le Sénat fut un utile paravent institutionnel dissimulant le pouvoir législatif impérial. D'abord, la disparition du censeur (qui les nommait sous la République), dès le début de l'Empire, fut le prétexte pour l'empereur de nommer les membres Du Sénat. C'est pourquoi le premier siècle fut marqué par de grands senatus-consultes ayant force législative (entre autres le Macédonien, annulant les engagements du fils de famille, et le Velléien, faisant l'objet de nombreuses "renonciations" dans la pratique médiévale parce qu'interdisant à la femme de garantir les engagements de son mari). En fait le Sénat ne faisait qu'approuver la volonté impériale. C'est la raison pour laquelle l'oratio (discours dans lequel l'empereur présentait sa loi) devint l'élément le plus important de la procédure. On finit par appeler les senatus-consultes des orationes. A partir, du IIe siècle, le pouvoir législatif de l'empereur fut un fait établi n'ayant plus besoin du relais sénatorial.
  • Au IVe siècle, en conséquence des réformes affectant alors l'organisation impériale, le Sénat fut d'abord transporté à Constantinople, puis furent créés deux Sénats, un pour chaque capitale (Rome et Constantinople).
  • En fait, on constate qu'au Bas-Empire les textes législatifs concernent principalement l'accès au Sénat et le statut des sénateurs. C'est la preuve que ce qui importe désormais est, non la fonction institutionnelle du Sénat, mais le statut de sénateur, c'est-à-dire ce qui concerne un titre essentiellement honorifique. A la fin de cette époque, le Sénat intervient dans des domaines très divers (internationaux, judiciaires, municipaux...) mais toujours avec une autorité très limitée.

 

¶ IV - Lien avec notre époque

 

A - Le Sénat de Venise

Quelques grandes villes italiennes (entre autres Gènes, Florence et Milan) eurent au Moyen Age des institutions appelées Sénat. Mais le Sénat de Venise semble être celui qui a eu le plus d'importance.

Après une ébauche d'institution apparue au IXe siècle avec la personne du Doge (à l'origine une espèce de monarque regroupant les populations des îles du Rialto), aux XIIe et XIIIe siècles, des institutions urbaines s'étaient constituées sur la base des paroisses, puis des quartiers. Mais à la fin du XIIIe siècle, le pouvoir tomba définitivement aux mains des grandes familles formant un Grand Conseil, qui, du fait de l'ampleur et de la complexité du travail délégua une partie des tâches à des commissions spécialisées. C'est la principale de ces commissions qui devint le Sénat, lequel devint alors l'élément essentiel de cette république aristocratique. Il dirigea l'économie, économiques, la conduite des guerres et de la politique étrangère. On l'appelait le Pregadi (de pregare, prier) parce qu'à l'origine le Sénat ne s'assemblant que dans des occasions extraordinaires, on allait prier les principaux citoyens de s'y trouver. Le rapprochement avec le Sénat romain, qui s'impose déjà par son origine dans le pouvoir d'un certain nombre de grandes famille, est confirmé par son importance dans un système républicain oligarchique.

B Le Sénat de Savoie

Le Sénat de Savoie ne fut pas un véritable sénat, mais une institution essentiellement judiciaire. Le Sénat de Savoie a été un héritage de l'occupation française de 1536-1559 (la Savoie ne devint définitivement française qu'en 1860). Créé par François Ier, l'année même où le roi de France prit possession de la Savoie (1536), le Parlement de Chambéry fut déclaré Cour Souveraine par Henry II en 1549 (les Parlements furent des institutions d'origine féodale, issues du devoir de conseil du vassal). Lorsque la Savoie fut détachée du Royaume de France pour être rendue à la Maison de Savoie (qui devint plus tard le royaume de Sardaigne, mais avec sa capitale à Turin), l'un des premiers soins du duc Emmanuel-Philibert fut de décréter l'érection d'un Sénat de Savoie, remplaçant le Parlement de Chambéry. Par la suite, le Sénat de Savoie s'orna d'un lustre qu'on a souvent comparé à celui du Parlement de Paris jusqu'à ce que le roi Victor-Amédée II ne le confine, au XVIIIe siècle, dans d'étroites fonctions judiciaires (le Royaume de Sardaigne fut, au XVIIIe siècle, l'Etat le plus centralisateur d'Europe : il aurait servi de modèle à Napoléon). L'ignorance de l'histoire de cette institution a parfois fait présenter, entre autres dans certains milieux autonomistes, le Sénat de Savoie comme l'expression de la souveraineté de la Savoie.

C - Le Sénat des USA

Mis en place par la Constitution de 1787, le Sénat des Etats-Unis est pourtant l'institution la plus proche du Sénat de la Rome républicaine. En effet :

  • Le très grand prestige du Sénat américain : un poste de sénateur est le couronnement d'une carrière politique.
  • Les importants pouvoirs du Sénat dans le domaine législatif et en ce qui concerne la nomination et le contrôle des membres du gouvernement et des hauts fonctionnaires.
  • Son rôle majeur dans le domaine international : déclaration de guerre et ratification des traités.
  • Enfin la possibilité qui est la sienne de sa transformer en Haute cour et d'obtenir, suivant la procédure d'empeachment , une condamnation pouvant atteindre le président des Etats-Unis lui-même.

D - Les Sénats impériaux

  • Les Sénats impériaux, prévus par la constitution de l'An VIII et celle de 1852, présentent l'originalité d'être à la fois celles de nos Chambres hautes qui soient les plus proches du Sénat romain, et aussi l'annonce d'une institution constitutionnelle moderne.
  • Précisons d'abord le second point en signalant que les Sénats impériaux furent les premières institutions garantes de la constitution, mais avec cette importante réserve qu'ils permirent aussi des changements constitutionnels qui étaient des changements de régime.
  • En fait cette réserve renforce le rapprochement entre les Sénats Napoléoniens et le Sénat romain, mais uniquement en ce qui concerne son rôle politique. En effet dans les deux cas le Sénat servit à passer de la république à l'empire. Un autre point commun en ce qui concerne l'histoire politique : le sens de l'évolution fut de faire du titre de sénateur une distinction purement honorifique.

E - Les chambres hautes dans le parlementarisme moderne

  • Les institutions d'origine féodale
    • La plus célèbre est la Chambre des lords anglaise.
    • Prévue par les chartes de 1814 et 1830, la Chambre des pairs française fut une institution originale s'inspirant à la fois du Sénat napoléonien et de la Chambre des lords anglaise. Mais à l'inverse, elle n'eut pas un grand rôle politique. Elle servait surtout à justifier le titre honorifique de pair de France (Victor Hugo en fut un).
  • Les chambres hautes des républiques françaises
      Les institutions républicaines françaises ont connu des Chambres hautes (sauf la Seconde République) n'ayant pas toutes le nom de Sénat (Conseil des Anciens sous le Directoire, et Conseil de la République sous la IVe République). Leur seul point commun avec le Sénat romain était la vague référence au système patriarcal qu'on pouvait trouver dans la sélection par l'âge (à partir de la catégorie des quadragénaires) et la croyance dans les valeurs de la ruralité. Notons que si l'avantage donné à la société rurale se comprenait dans les lois de 1875 (IIIe République) où le monde rural représentait 80 % de la population française, elle est beaucoup moins justifiable aujourd'hui (5 % de paysans). Ces Chambres modératrices se sont parfois montrées franchement réactionnaires, en particulier lorsque le Sénat s'opposa farouchement (à 5 reprises entre 1919 et 1936) à l'extension aux femmes du droit de vote.
  • Les chambres hautes dans le reste du monde
    • En 1991, sur 154 Etats possédant une représentation parlementaire, 55 étaient bicaméralistes.
    • Cependant, le bicaméralisme (appelé aussi bicamérisme) recouvre des réalités fort diverses, quoique possédant généralement le point commun de favoriser l'âge et la ruralité.
    • Parmi les autres pays ayant une Chambre haute certains possèdent une Chambre modératrice du type des "sénats" républicains français. D'autres doivent leur Sénat à leur structure fédérale, le but recherché étant alors l'égalité dans la représentation des Etats.
    • Cependant, on trouve dans toutes ces institutions un respect de l'âge et de la ruralité qui maintient un vague lien avec l'antique Sénat romain

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