Université Paris X - NANTERRE

1ère année de DEUG - UP 2 : Histoire du droit

(2e semestre de l'Année 2000-2001) - Ière partie, titre I, chapitre 1, section I


Chapitre 1

Le pouvoir patriarcal domestique

 

Le pouvoir patriarcal, c'est-à-dire une institution politique fondée sur l'autorité du père de famille ou, plus généralement, sur l'homme âgé, est la constante la plus solide de l'histoire institutionnelle.
A l'arrivée, l'institution est politique mais comme cette institution trouve son origine dans le cadre des lois de la maison (c'est-à-dire quelque chose d'intermédiaire entre les lois de la nature et les lois de la cité (dans lesquelles se trouve le droit), c'est ici que notre étude commence, en distinguant la soumission de la femme du pouvoir de vie et de mort

 

¶ I - La soumission de la femme

 

§ 1 Le pouvoir originel de la femme

 

  • Dans la plus antique "histoire de l'histoire", cette Epopée de Gilgamesh qui nous raconte les aventures, dans le IIIe millénaire avant J.-C., d'un roi d'Ourouk en Mésopotamie, il est un moment particulièrement important pour la suite du récit, celui où Gilgamesh doit affronter Enkidou, un monstrueux intermédiaire entre la bête et l'homme. Gilgamesh, qui est fort et courageux, pourrait affronter Enkidou. Mais comme il est aussi d'une grande sagesse, il envoie à sa place Abisimti, la prêtresse-courtisane, celle qui est chargée d'initier les jeunes gens :
      "Elle s'est allongée près de lui, lui a prodigué ses caresses et l'a guidé sur elle afin qu'il la possédât.
      Telle fut son initiation. Il était comme une bête, par l'étreinte de la femme il est devenu comme un homme. Il serait aussi juste de dire : il est devenu comme un dieu. Car c'est ainsi, dans l'acte de la vie, que nous imprègne la divine essence." (
      Gilgamesh, roi d'Ourouk, .18)
  • Désormais, les animaux sauvages ne se laisseront plus approcher par cet être que l'érotisme, inconnu des accouplements bestiaux, avait si parfaitement rendu humain Enkidou qu'il confinait à la divinité. Ces gazelles, qui l'avaient nourri de leur lait, le fuyaient désormais et Abisimti devait donc l'initier à la deuxième chose par laquelle les femmes produisent l'humanité : l'alimentation. Etant parvenue à vaincre ses réticences, elle lui fit découvrir que le pain et le vin étaient de bonnes choses. Son rôle était désormais terminé. L'amante génitrice et nourricière pouvait livrer aux hommes celui dont ils pourraient faire un mâle sachant travailler, chasser et guerroyer. Il n'est pas, me semble-t-il, d'autre texte où l'on montre si bien que la force de la femme est authentiquement biologique, alors que celle de l'homme n'est que mécanique : l'homme cogne plus fort, mais meurt plus jeune.
  • Ne connaissant pas, sauf de très rares exceptions, un autre récit des origines que celui de la Genèse, l'homme occidental doit pourtant savoir qu'une telle description de la fabrication de l'homme par l'érotisme et la séduction féminine se retrouve encore dans ce qui tint lieu de Genèse jusqu'à la Christianisation de l' Empire romain. En effet la Théogonie d'Hésiode, nous dit, au travers d'un récit fort différent, la même chose essentielle : qu'il fallait la femme et l'érotisme pour créer l'homme.
  • La Théogonie d' Hésiode . qui, racontant la fabrication des dieux pour nous expliquer la création du monde, fait d'abord apparaître Gaia, Ouranos, Cronos, Nyx, etc., à savoir des dieux-éléments : dans l'ordre,la terre, le ciel, le temps, la nuit...) dieux qui, bien que sexués, n'avaient pas forme humaine. Gaia la terre est violemment couverte par Ouranos le ciel, auquel elle a donné naissance et qui est devenu son amant abusif. Il lui impose le coït et de cette violence ne naît que de la violence : les titans, puis les cyclopes et enfin les cent-bras, tous plus violent les uns que les autres. Effrayé par ce qu'il engendre, Ouranos le ciel va repousser dans le ventre de Gaia la terre tout ce qui naîtra après les cyclopes, et cela tout en lui imposant ses coïts violents. La seule solution pour Gaia fut de séduire son fils Cronos, d'engendrer le fer pour fabriquer une serpe et de faire couper par Cronos le sexe de son père. Mais alors, la création allaient-elle s'arrêter alors que les hommes n'étaient pas encore créé? Non parce que le sexe d'Ouranos fut jeté dans la mer et que de l'écume en sortit alors, écume qui donna naissance à Aphrodite, la première déesse qui ait une forme humaine. Ainsi, pour que l'homme existe il fallait :
    • que la femme soit maîtresse de sa fécondité
    • et qu'elle attire l'homme par sa force de séduction
  • Désormais l'érection masculine n'était plus la manifestation de la violence d'Ouranos, mais le résultat du désir provoqué par la femme. On voit ainsi ce qui distingue l'homme de l'animal : son désir n'est pas déclenché par cette ovulation que la zoologie désigne par l'oestrus (du grec oistros, c'est-à-dire le taon ou tout autre insecte dont la piqûre déclenche la fureur animale). C'est face à la quasi-mécanique de l'oestrus (liant étroitement la sexualité à la fécondité) que l'érotisme s'impose comme constructeur d'humanité, reconnu comme tel tant par l'épopée babylonienne que par la mythologie grecque.
  • Cette littérature est en parfait accord avec les données de l'archéologie qui nous apprend que la première divinité fut une déesse, représentée d'abord par une boule bosselée, puis par une forme plus féminine aux rondeurs exagérées, idole représentant à la fois la femme et la terre, c'est-à-dire la vie, non pas linéaire comme dans la Genèse (venant en droite ligne du Dieu créateur), mais sous la forme du cycle de la fertilité.
  • La première représentation de la divinité fut à la fois les rondeurs de la femme et le cycle de la vie.Elle fut ronde comme la Terre-mère, celle dont le cycle est éternellement fécond (la terre n'est pas atteinte par la ménopause!), ronde comme le ventre de la femme enceinte et aussi comme l'astre lunaire qui, faisant monter la divinité féminine de la terre aux cieux, reconstitue sa rotondité en vingt huit jours, apprenant ainsi aux hommes la première sacralité du temps, celle qui recouvre le cycle de la fécondité féminine, ronde enfin comme ces sépultures primitives où la position foetale montre à la fois le retour à la mère et une image de l'infini en forme d'éternelle fécondité.

 

§ 2 - Etablissement du pouvoir de l'homme

 

  • Ici les indications de l'archéologie sont précieuses. Elles indiquent en effet qu'au huitième millénaire avant notre Ere, un ensemble d'indices permet de situer l'époque où s'installe la domination masculine. Ainsi le linéaire et l'angulaire dominent en architecture, entre autres pour remplacer l'ancienne maison circulaire semi-enfouie (avant on vivait en quelque sorte dans le sein de la Terre-mère), la fabrication de l'armement métallique se développe et surtout, les figures masculines commencent à concurrencer puis à dominer les représentations féminines.
  • Nous touchons ici au point essentiel : l'apparition des rites religieux distinguant l'homme du primate, la dominance dans les pratiques liturgiques signale un renversement du rapport de force. Avec la frêle Antigone disputant au prince Créon le cadavre de son frère, Sophocle nous montre une survivance d'un temps où les femmes avaient le rôle dominant dans les rites funéraires. En fait, en nous montrant le patriarche dans sa fonction essentielle de responsable du culte domestique on l'installe solidement en une dominance que le surnaturel justifie. Désormais la religion ne montre plus le cycle divin de la fécondité féminine, mais la lignée du culte des ancêtres masculins. L'abandon de l'ensevelissement en position foetale est vraisemblablement la conséquence de la masculinisation du culte domestique.

 

§ 3 - La domestication de la femme

 

  • La domestication de la femmes signale un phénomène qui se constate autant en Grèce qu'à Rome : les hommes monopolisent l'essentiel de pouvoir civique et se réservent en outre l'accès au savoir qui donne le pouvoir. Et, s'ils concèdent une certaine autorité à la femme dans le cadre domestique, c'est par délégation de l'autorité masculine.
  • La domestication de la femme indique peut-être plus une crainte qu'un mépris. Certes, si l'on considère la philosophie d'Aristote, le mépris de la femme domine. Pour Aristote, la femme est un être inachevé, imparfait, qu'il classe entre l'infirme, au mieux, et le monstre, au pire : c'est pour cette raison qu'il considère qu'un foetus féminin ne reçoit son âme humaine (c'est-à-dire rationnelle, en plus de l'âme végétative et animale) qu'au bout de 80 jours, alors qu'un homme possède la sienne après 40 jours de gestation. mMis il ne faut pas croire que l'autorité d'Aristote eut, dans l'Antiquité, quelque chose à voir avec celle qu'il obtint au Moyen Age, où il fut le philosophe par exemple (quand les textes médiévaux parlent du "Philosophe" ils désignent Aristote). En revanche, l'Antiquité gréco-romaine fut plus impressionnée par l'aspect quantitatif de son oeuvre que par sa qualité. C'est pourquoi, quand le philosophe Lucien s'amusa, au IIe siècle de notre Ere, à organiser une vente aux enchères des principaux philosophes, Socrate et Platon valaient chacun six fois plus cher qu'Aristote.
  • C'est pourquoi Hésiode, dans La Théogonie et dans son autre oeuvre, Les Travaux et les jours, raconte que la punition que Zeus envoya aux hommes, pour les punir d'avoir reçu le feu de Prométhée, fut "l'espèce maudite des femmes", qui présentent pour l'homme le grand danger de se comporter comme ces abeilles qui, s'affairant en permanence dans la ruche, réduisent les mâles à l'état de "bourdons sans dard". C'est là qu'intervient Xénophon, ce disciple de Socrate qui écrivit entre autres un traité d'Economie (mais dans le sens grec, qui désignait les "lois de la maison"). Pour lui, la femme doit être dans la maison la Reine des abeilles qui rend la justice domestique en donnant à chacun ce qui lui revient. Mais l'abeille ne doit pas avoir la supériorité sur le mâle qu'on rencontre dans la ruche : c'est pourquoi Xénophon ajoute qu'elle est aussi la Gardienne des lois (fonction officielle qu'on rencontrait dans certaines cités grecques). Surtout, Reine des abeilles ou Gardienne des lois, elle tient son pouvoir du mari qui l'a instituée dans la maison. Xénophon a beau avouer qu'il lui est arrivé d'être condamné par le "tribunal de sa femme", il n'empêche que c'est du fait de son autorité que ce tribunal a été créé. Surtout, il précise bien qu'il est le seul à intervenir dans le cadre de la cité, lieu du pouvoir politique et du savoir qui permet d'y accéder.
  • C'est ce que confirme la mythologie. Le début de la Théogonie, avec l'émasculation d'Ouranos et la naissance d'Aphrodite montre le triomphe féminin dans la nature. Mais la suite du récit indique le passage de la maison à la cité, avec corrélativement la victoire masculine dans le cadre civique. Pour le ciel (Ouranos) et la terre (Gaia), la nuit tenait lieu de maison. C'est dans le secret de la nuit que se produisaient les accouplements et les crimes domestiques. Et c'est dans ce cadre que s'est établie, en un premier temps, la dominance féminine. En d'autres termes, la force biologique de la femme l'a emporté sur la violence masculine, mais elle a perdu la bataille de la sagesse dans la cité. Car c'est ce qui domine au dernier acte de la Théogonie : le transfert au profit de l'homme de la sagesse et de la justice, principes féminin que Zeus s'attribuera en épousant les déesses qui les incarnaient (et en avalant même Métis, la sagesse). Zeus fut roi chez les dieux, non par sa force, mais du fait de l'"acquisition par mariage" de la sagesse et de la justice. Ainsi était divinement justifiée, une domination de l'homme dans les domaines liés de la politique et du savoir, domination qui ne fut réellement remise en cause qu'à partir du XIXe siècle.

 

§ 4 - La survie des cultes féminins

 

  • Bien que la masculinisation de la Religion ait marqué le début de l'abaissement de la femme, les cultes féminins ont cependant survécu, phénomène signalant une persistance inconsciente, tant chez les hommes que chez les femmes, de l'intime hommage à la supériorité féminine.
  • La mythologie grecque ne fut qu'un épisode de cette féminité divine de la vie que l'on rencontre, de la préhistoire jusqu'à nos jours, sous toutes les latitudes . En Occident, la dominante masculine de la religion civique refoula la religion féminine de la vie dans une zone de mystères et d'initiations où elle demeura fort vivace. Partout et de tous temps, la divinité féminine de la terre donna naissance, d'une part à des cultes populaires faisant directement référence à la Terre-Mère (grottes, sources , formes féminines rondes, vierges noires et dames blanches) et, d'autre part, à deux figures religieuses dérivées, celle qui incarnait la fécondité végétale et celle qui représentait la vitalité du monde animal. Dans la religion gréco-romaine la première sera Déméter et la seconde, Artémis (respectivement Cérès et Diane chez les Romains). Déméter présida en Grèce aux fort célèbres mystères d'Eleusis. Quant à Cérès, sa traduction romaine, (dont l'importance se repère, entre autres dans le fait qu'elle est à l'origines du mot céréale), Cicéron reconnaissait que les "Mystères" des "initiations à Cérès" jouaient un rôle essentiel dans la "fabrication de l'être humain". Cependant, il en parlait pourtant dans Les lois comme d'une chose à la limite de l'illégalité.
  • Au XIe siècle une croyance est très répandue, selon laquelle les femmes peuvent espérer chevaucher la nuit des animaux sauvages en compagnie de la déesse Diane. L'absorption par le culte de la Vierge Marie fut certainement le procédé le plus efficace pour faire disparaître les références explicites aux croyances païennes. C'est avec pertinence que les folkloristes, ces savants si précieux (et tant méprisés par les universitaires parce qu'ils parlent de notre sauvagerie), ont pu concentrer le maximum d'attention sur le fait que les oratoires sylvestres dédiés à Marie avaient remplacé ceux qui, dans la forêt, mettaient en topographie le culte de Diane.
  • Ce qui a survécu le plus efficacement, c'est le culte populaire, culte faisant référence à Gaia et repérable dans la dévotion aux vierges noires (comme la terre), ou aux "dames blanches" (comme l'eau de source). On sait l'importance des vierges noires pour les Chrétiens. Quant aux dames blanches, il faut à leur sujet se précipiter sur l'ouvrage d'Isaure Gratacos (Fées et gestes, Toulouse, Glénat, 1987) qui les a rencontrées avec surprise dans le récit des paysans, alors qu'elle faisait une recherche, académiquement banale, sur le statut social des femmes pyrénéennes . En pays de Comminges et de Couserans, on ne trouve pas moins de trente-huit grottes (tutas), où l'on considère comme un fait historiquement incontestable que sont apparues des hadas, c'est-à-dire des formes féminines blanches à l'attitude divinement douce et bienveillante, lesquelles entretenaient en outre un rapport étroit avec des sources. Parmi ces évidentes résurgences de la Terre-Mère (la grotte et la source ), quatre furent reconnues par l'Eglise du XIXe siècle comme étant des apparitions d'une Vierge Marie (Montsaunès, Miramont, Sauveterre et Lourdes). L'une d'entre ces dernières, Lourdes avec sa grotte de Massavielha que les anciens appellent toujours la tuta deras hadas (la grotte des femmes blanches et bienveillantes) , est devenu, on le sait, un lieu mystique et touristique d'envergure mondiale. Il est très important de signaler ainsi que la ferveur populaire voit la Vierge, dans une grotte et près d'une source, et aussi le fait qu'on a construit un peu partout des "grottes de la vierge", sans oublier, à Bethléem, la "grotte du lait de la Vierge".
  • La Maîtresse de la vie est toujours là, en source et en terre.


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