Université
Paris X - NANTERRE
Maîtrise
: Histoire de l'administration
publique
(1er semestre de
l'année 2000-2001) - 3e partie, titre III, chapitre
3
Chapitre 3
Les forces de
répression
Pour maintenir
l'ordre politique, la France a dû abandonner le principe de "la
Nation armée contre elle-même". Après un
demi-siècle d'hésitations elle fait le choix de mettre
en place des professionnels du maintien de l'ordre
¶ I - La Garde nationale
- Plus que la spectaculaire prise de la
Bastille, l'organisation à Paris d'une Garde bourgeoise
marque réellement le début de la Révolution.
D'autres milices de ce genre ayant été
constituées dans les grandes villes du royaume, la
Fête de la fédération, le 14 juillet 1790,
constituera l'ensemble en une force nationale chargée du
maintien de l'ordre politique et, accessoirement de
défendre le territoire. Il ne s'agissait pas d'une force
résidant dans des casernes, mais d'une partie des citoyens
qui, détenant chez une arme et un uniforme, étaient
réunis lorsque la sécurité intérieure
ou extérieure du pays était menacée.
- Sous le Consulat et l'Empire, Napoléon
s'appuya essentiellement sur l'armée, au point qu'on put
croire que la Garde était dissoute. En fait son existence
fut confirmée par deux mobilisations pour défendre
le territoire (en 1809 et 1814).
- Sous la Restauration, la Garde nationale, qui
était en fait la bourgeoisie en armes, ne pouvait
adhérer massivement au retour de la monarchie. Ayant
manifesté son hostilité à Charles X, celui-ci
en prononça la dissolution en 1827, mais sans la
désarmer. Les armes de la Garde nationale
réapparurent au cours des Trois Glorieuses et
assurèrent le succès de la Révolution de
1830.
- Sous la Monarchie de Juillet, la Garde
nationale devint très naturellement le soutien essentiel de
Louis-Philippe, le roi bourgeois, entre autres face à la
contestation ouvrière. Elle apparut d'abord comme devant
particulièrement défendre les propriétaires :
selon une loi de 1831, il fallait, pour en faire partie, payer une
contribution foncière et être fils d'un
imposé. Cependant les jeunes gens aisés, qui par
ailleurs échappaient à l'obligation militaire par le
remplacement, n'aimaient guère un embrigadement dans la
Garde qui leur imposait des exercices et, éventuellement,
de risquer leur vie. C'est pourquoi une loi de 1837 supprima la
condition d'être imposé (pour Paris, mesure
étendue au reste de la France en 1851).
- En février 1848, se
révéla une nouvelle fois sous son aspect paradoxal
de force capable de faire la révolution, du moment que la
bourgeoisie était maintenue au pouvoir. En revanche, la
révolte ouvrière des Journées de juin 1848,
la rétablit dans son rôle de gardienne de l'ordre
social.
- Le Second Empire, qui faisait surtout
confiance à l'armée, maintint la garde nationale
dans un rôle subalterne. En outre, alors que le principe
révolutionnaire de l'élection des officiers avait
été maintenu jusque là, un décret de
1852 fit dépendre du pouvoir central, directement ou
indirectement, la nomination des officiers ou sous officiers.
Mais, utilisée essentiellement pour des fonctions de
parade, la Garde nationale ne montrait pas les profonds
changements qui affectaient sa composition depuis qu'on avait
supprimé l'obligation de l'imposition foncière. La
chose se révéla dans le coup de tonnerre de la
Commune de Paris.
- Lors du siège de Paris de 1870, la
Garde nationale avait été une nouvelle fois
utilisée dans la défense contre l'envahisseur. Une
souscription publique l'avait dotée de canons. C'est le
fait que l'armée ait voulu lui prendre ces canons qui fut
le départ de cette révolution avortée connue
sous le nom de Commune de Paris. Jusqu'au bout la Garde nationale
soutint la Commune (son Comité central en fut même
l'organe directeur dans les 10 premiers jours).
- On ne s'étonnera donc pas que
l'écrasement de la Commune de Paris s'accompagna de la
dissolution, par une loi du 30 août 1871, des Gardes
nationales de toutes les communes de France (à noter qu'il
fallut ensuite reconstituer les corps de pompiers volontaires que
la Monarchie de Juillet avait créés au sein des
structures de la Garde nationale).
Notons aussi que la l'institution de la Garde
nationale existe toujours aux Etats-Unis. Chaque Etat en
possède une ; il s'agit en quelque sorte de son armée,
composée essentiellement de volontaires réservistes.
L'Etat en question peut la mobiliser pour lutter contre une
émeute ou pour toute autre circonstance où son concours
est nécessaire pour l'application de la loi. Le
Président des Etats-Unis peut décider de la mobiliser
pour l'ajouter aux forces armées
régulières.
¶ II - 1871-1921 : Un demi-siècle
d'incertitude
Que mettre à la place de la Garde
nationale?
- Certes, malgré l'activisme des
royalistes et les bombes des anarchistes, les institutions de la
IIIe République semblent solides. Mais désormais une
simple grève ouvrière peut être le
début d'une émeute (comme à Fourmies en
1891), alors que les agriculteurs ne sont plus à compter
systématiquement parmi les gardiens de l'ordre social
(révoltes des viticulteurs en 1907 en attendant l'activisme
fascisant des Chemises vertes de Dorgères dans les
années 1930, en attendant le principe désormais bien
établi que les privilèges des paysans doivent
être défendus par le vandalisme).
- La gendarmerie traditionnelle (appelée
aussi gendarmerie départementale), éparpillée
en petites brigades et entretenant de bons rapports avec la
population, n'est absolument pas adaptée à de
grandes opérations de maintien de l'ordre. Depuis 1905,
l'armée est beaucoup trop proche de la population ; elle
risque, tel le fameux 17e régiment d'infanterie à
Narbonne lors des révoltes viticoles, de se mutiner pour ne
pas avoir à réprimer.
- Par ailleurs, le pouvoir politique a compris
qu'il lui fallait, pour prévenir les troubles, de bons
outils d'information politique. Les écoutes
téléphoniques sont aussi vieilles que le
téléphone, mais elles sont en France aussi
limitées que le réseau (elles ne seront
administrativement organisées qu'après la Seconde
Guerre Mondiale, en récupérant le réseau mis
en place par la gestapo). Après l'affaire Dreyfus, le
contre-espionnage sera rattaché à la
Sûreté, mais il faudra attendre la D.S.T.,
après la Seconde Guerre mondiale, et ses dérives
à l'occasion de la Guerre d'Algérie pour qu'il se
transforme en police d'informations politiques. En fait c'est dans
une première mutation policière - et certainement la
plus inattendue quoique pas totalement absurde - que le pouvoir
politique trouvera son premier outil moderne d'espionnage interne
: une police des chemins de fer, créée sous la
Monarchie de Juillet, mais transformée par le Second Empire
en police d'informations, continue une mutation au terme de
laquelle elle deviendra la police des renseignements
généraux.
C'est pourquoi les travaux du préfet de
police Lépine (1893-1913) la seule réflexion qui, au
milieu d'un foisonnement de projets, mérite qu'on s'y
arrête, met en évidence l'importance de l'information
politique. Par ailleurs, il faut tout faire pour que la
répression des mouvements de rue ne soit pas meurtrière
: connaître l'itinéraire afin de pouvoir contrôler
et disperser, avoir des effectifs suffisants tout en ne faisant
jamais appel aux militaires, utiliser des agents non armés,
parfaitement disciplinés et encadré. En d'autres
termes, il faut des professionnels du maintien de l'ordre.
¶ III - Les professionnels du maintien de
l'ordre
- Il y avait eu un fâcheux
précédent : des chômeurs avaient
été embauchés en février 1848 ;
payés un franc par jour ils formèrent une Garde
nationale mobile. Très jeunes, mal formés, ils
furent utilisés aux côtés de la
véritable Garde nationale et de l'Armée contre les
émeutiers de juin 1848, perdant totalement leur sang froid,
ils tuèrent tellement d'insurgés qu'ils firent peur
au régime même qu'ils avaient défendu. On mit
fin à l'expérience dès janvier 1849.
- Inspirée par les travaux de
Lépine, l'expérience fut renouvelée en 1921
sur des bases plus saines, par la création de ce que nous
appelons communément les "gardes mobiles". Il s'agit en
fait de forces spéciales de gendarmerie groupées
dans des casernes et prêtes à intervenir sur tous les
points du territoire, d'où leur appellation officielle de
gendarmerie mobile. Al veille de la Seconde guerre mondiale,
c'était une force de 20 000 hommes possédant des
engins blindés et des armes lourdes. On comprend dès
lors qu'après la défaite française de 1940,
les Allemands exigèrent que la gendarmerie mobile soit
réduite, en zone libre à 6 000 hommes.
- Vichy, reprenant alors une expérience
qui avait été entreprise en Seine et Oise dans les
années 1930, créa, en 1941, au sein de la Police
nationale qui venait d'être créée, des Groupes
mobiles de réserve (G.M.R.). A la Libération, on
reconnut sans le dire que l'idée était excellente,
mais il était exclu de maintenir le souvenir de forces
policières qui s'était illustrées dans la
lutte contre les maquis, en association de malfaiteurs avec la
Milice et l'occupant allemand. C'est pourquoi un décret du
8 décembre 1944 réorganisa les G.M.R. sous un nom
rappelant les Forces républicaines de
sécurités mises en place par les maquis du Midi : ce
furent les C.R.S. compagnies républicaines de
sécurité.
- En 1947, au début de la Guerre
froide, et dans le contexte français de grèves
insurrectionnelles, des C.R.S. du Parti communiste
fraternisèrent avec des manifestants. Le ministre de
l'Intérieur Jules Moch entrepris alors, en rusant
(l'affaire était délicate) de pratiquer
l'épuration anticommuniste au sein des C.R.S et de les
réorganiser. Depuis, leur tâche principale est
toujours le maintien de l'ordre, à laquelle s'ajoutent
des missions de surveillance (frontières, ports,
aéroports) ainsi que des tâches d'appui des autres
corps de police. Depuis le début des années 1950,
un habile politique concernant leur "image de marque" conduisit
à l'utilisation des C.R.S. comme surveillants de plages
et comme sauveteurs en montagne.
- L'utilisation de professionnels de la
répression (exception faite évidemment des G.M.R.)
s'est révélée être un moindre mal :
"faire des bosses pas des trous" (devise non officielle des
C.R.S.). Il faut remarquer que les répressions
meurtrières des années 1960 ne furent pas le fait de
professionnels de la répression mais de forces non
spécialisées de la police parisienne se laissant
dominer par la peur, la haine et l'esprit de vengeance. Il s'agit
de la répression meurtrière de la manifestation des
Algériens, en octobre 1961 (centaines de mort), et de la
manifestation contre l'O.A.S. à Charonne (9 morts) alors
que Maurice Papon était préfet de police.
- Les événements firent deux
morts (un manifestant à Paris et un policier à
Lyon), ce qui est à la fois trop et sans commune mesure
avec l'ampleur des événements. Ce résultat
est dû aux qualités personnelles du préfet
de police Maurice Grimaud et, tous comptes faits, au fruit
d'une expérience deux fois séculaire dans la
gestion des troubles sociaux et politiques.
Plan du
cours